Agzul
Deg umagrad-a, ad nsukk tiṭ ɣef tesleḍt tasnilsant n tenfaliyin timsawalin deg tmaziɣt (tantala tabaylit), tid i yesɛan ismawen n yimdanen. Deg-s, ad neɛreḍ ad d-nsebgen inumak d yizamulen-nsen. Rrnu ɣer twuri-nsen n usemmi n umdan, deg uḥric n tenfaliyin timsawalin seɛɛun inumak nniḍen i izemren ad ilin lhan neɣ cemten. Iswi-nneɣ deg tesleḍt-a ad nsiweḍ ad d-nefk neɣ ad d-nekkes akk inumak d yizumal i sen-ittunefken deg tenfaliyin timsawalin deg tentala taqbaylit. Deg-s ad d-nsebgen azal-nsen d wassaɣ i sɛan deg lebni n yidles d tmagit n tmaziɣt. Iwakken ad nsaweḍ ɣer yiswi-a, yessefk fell-aɣ ad nwali akk inumak i sɛan ilmend n yisatalen anda i ttwasmersen(ammud n tenfaliyin i nesleḍ). Isatalen-a, negrew-iten-id seg tsistant i nexdem. Tuget n tenfalyin yellan deg-s, nekkes-itent-id seg udiwenni n yal ass akked seg kra n tiɣbula d yidlisen yettwarun. Deg taggara n tesleḍt, nufa-d tuget n yismawen yettwasmersen deg tenfaliyin timsawalin n teqbaylit kkan-d seg teɛrabt, urzen ɣer waṭas n yinumak d yizumal yemgaraden, s umata ur lhin ara. Seg tama n yismawen untiyen, ulac aṭas yerna inumak-nsen cemten.
Awalen igejdanen
Isem, Tanfalit tamsawalt, azamul, anamekiḍen, tantala taqbaylit
Introduction
Cet article propose une réflexion sur la phraséologie kabyle à travers une analyse linguistique d’un corpus d’expressions idiomatiques mettant en lumière des termes liés aux désignations personnelles (prénoms). Notre approche consiste à délimiter le réseau socio-symbolique de chaque prénom, en reconnaissant que leurs connotations varient selon les sociétés et les époques historiques. Les expressions idiomatiques seront élucidées en fonction de leurs utilisations et classées selon leurs contenus sémantiques. De temps à autre, nous fournirons des équivalents en français pour mettre en contraste les particularités de la langue en question.
À travers l’étude de ces expressions idiomatiques anthroponymiques kabyles, notre objectif est de plonger dans l’univers complexe et riche de la symbolique des prénoms. Nous cherchons à comprendre comment chaque prénom est utilisé pour transmettre des connotations et contribuer au sens non compositionnel de l’expression. Ils ajoutent une dimension captivante à notre exploration de la palette infinie des expressions linguistiques et de leur pouvoir évocateur.
En effet, nous avons l’intention d’accorder une considération particulière à la phraséologie dans le cadre des préoccupations des spécialistes en lexicologie et lexicographie amazighes, dont certains ont réservé une place pour eux dans leurs travaux1.
1. La signification des prénoms et leur utilisation dans les expressions idiomatiques en kabyle
Le prénom est un élément à plusieurs rôles. D’une part, il est utilisé à des fins administratives, mais il contribue également à la construction de l’identité individuelle. Son énonciation dépasse la simple déclaration formelle d’identité, représentant plutôt une révélation de l’essence même de l’individu. Il est un moyen pour le caractériser avec des attributs perçus comme uniques et personnels. Comme le confirme Boussard (2021), l’attribution d’un prénom est individuelle et significative. Bien que le choix puisse refléter les préférences personnelles des parents, il revêt une importance particulière en tant que moyen par lequel le futur individu se présente et est reconnu par les autres membres au sein de la communauté. Ainsi, la dénomination symbolise et parfois impose une personnalité unique. Elle joue un rôle primordial dans les relations entre l’individu et son groupe social dont il fait partie, que ce soit la famille, le quartier, la profession, la religion ou la nation.
Boussard (2021, p. 22) affirme que l’identité individuelle conférée par le prénom n’est pas une entité purement individuelle, mais aussi une identité sociale. La nomination est liée aux enjeux de classification et d’identification des individus par les groupes sociaux et les institutions. D’une manière classique, les prénoms ou les noms propres en tant qu’unités lexicales d’une langue, comme le souligne Le Bihan (2006, p. 9), échappent à la règle du lexique qui est en permanente évolution. Autrement dit, les prénoms ne subissent pas des variations ni formelles ni sémantiques, en suivant leur définition classique simpliste, stipulant qu’ils ont pour fonction de spécifier des individus désignés et correspondent à une sorte de couple personne-prénom ou une sorte d’étiquetage. Cependant, ceci n’est pas toujours vrai. Les prénoms (des noms propres) sont en permanente évolution comme les autres unités lexicales de la langue, du moins sur le plan sémantique, reçoivent des valeurs aussi positives que négatives.
Dans le contexte du kabyle, les prénoms ont subi des changements considérables, lors du contact avec d’autres cultures, notamment celles des populations de la rive méditerranéenne et orientale. Sous l’influence de la romanisation dans l’antiquité, l’arabisation avec l’arrivée des Arabes, la francisation, et autres, les Kabyles ont fini par adopter des dénominations autres que celles qui sont en rapport avec leurs origines. Comme le souligne Tidjet (2008, p. 67), les Kabyles portent des prénoms de différentes origines, étant plus influencés et fascinés par la religion musulmane au point qu’ils ont adopté plus de prénoms arabes, comme une marque de leur adhésion. Mais, cela sans renoncer complètement aux prénoms d’origine amazighe. Ces derniers se trouvent touchés par certains changements, notamment aux plans phonétique et phonologique. Ainsi, ils se rapprochent de ceux d’origine arabe, tels que : Ferruǧa, Zeǧiga, etc.
D’après Tidjet (2008, p. 68), les prénoms kabyles étaient principalement d’origine arabe. Ils sont le produit de l’islamisation de la région. Ce n’est qu’aux années 70 que les Kabyles ont commencé à adopter de nouveaux prénoms. Le plus souvent, ils sont ceux qui se rattachent à leur origine amazighe.
Du point de vue linguistique, les prénoms, en général ou kabyles, sont des éléments intégrant le lexique de la langue. Ils peuvent être considérés comme des « domaines source » (Kovecses et al, 2002) d’une métaphore idiomatique, c’est-à-dire qu’ils peuvent intégrer les expressions idiomatiques pour aboutir à des significations non compositionnelles dites des « domaines cibles » (Kovecses et al., 2002). Par ce fait, ils acquièrent des dimensions particulières. Ils ne sont pas simplement des désignations individuelles, mais portent également des significations culturelles et symboliques profondes. Ils sont enrichis sémantiquement en les liant à des éléments culturels, historiques, sociaux, etc.
Les prénoms peuvent donc être des composants des expressions idiomatiques dites des expressions onomastiques, en se procurant de nouvelles connotations et symboliques qui leur donnent une intensité expressive. Ainsi, ils sont considérés comme le noyau central de ces constructions linguistiques particulières. (Halasiu, 2002 : p. 238)
Les prénoms, attribués aux membres de la communauté kabyle, sont intégrés dans un système symbolique qui dépasse leur simple fonction de désignation. Ils peuvent être exploités de manière métaphorique dans les expressions idiomatiques, enrichissant ainsi et émaillant les discours des locuteurs kabyles. Ces expressions peuvent refléter des aspects de la vie quotidienne, des croyances, des valeurs, et même des événements historiques propres à cette culture.
En résumé, la relation entre le prénom et l’usage symbolique dans le contexte idiomatique kabyle réside dans la façon dont les prénoms, au-delà de leur fonction nominative, sont intégrés dans le langage pour exprimer des significations variées, notamment culturelles et sociales. Ainsi, les prénoms et les expressions onomastiques enrichissent le langage et renforcent la richesse culturelle de la société, en général, et kabyle, en particulier.
2. Présentation du corpus
Le corpus de notre étude est le fruit d’un travail de terrain. Il est constitué des expressions idiomatiques kabyles comprenant des prénoms ou des dénominations de personnes. Ces expressions idiomatiques sont issues de diverses situations conversationnelles naturelles et spontanées, dans la majorité des cas, avec des locuteurs kabyles. Il est à noter que les contextes de ces expressions sont authentiques et attestés.
Par la suite, les expressions collectées font l’objet d’une vérification et d’un complément à travers un processus de documentation, en utilisant des références écrites2.
Enfin, elles sont regroupées en fonction du prénom qu’elles incorporent. Elles sont catégorisées dans le même groupe, le même prénom, en fonction de leurs significations respectives. Chaque expression est par la suite transcrite en latin, accompagnée de sa traduction littérale la plus plausible et de son sens idiomatique en langue française.
À la fin de notre enquête, nous avons dressé une liste de 52 expressions idiomatiques qui font référence à une variété de 19 prénoms. Il est à noter que le corpus que nous présentons dans cette analyse n’est pas exhaustif. Il ne constitue qu’un échantillon, car il nous est impossible de recueillir l’intégralité des expressions idiomatiques compte tenu de leur multiplicité et de l’abondance de leurs contextes d’apparition dans des situations de discours variées.
3. Analyse linguistique du corpus idiomatique kabyle
Notre analyse du corpus se déploie en deux phases distinctes, chacune éclairant l’utilisation nuancée des prénoms au sein des expressions idiomatiques recueillies. Tout d’abord, nous nous livrons à une analyse quantitative approfondie, dans le but d’avoir des perspectives statistiques sur l’utilisation de ces unités lexicales qui servent comme dénomination. Cette méthode nous permet une compréhension exhaustive de la fréquence et de la distribution des prénoms au sein de notre corpus. Par la suite, nous explorons les valeurs symboliques et sémantiques non compositionnelles associées à chaque prénom présent dans les expressions. Cette deuxième analyse, dite qualitative, nous permettra de discerner toutes les significations et la symbolique que peut revêtir chaque prénom dans le contexte de l’idiomaticité kabyle, en nous basant sur les données de notre corpus.
Ainsi, cette démarche, quantitative et qualitative, nous permettra une compréhension approfondie du rôle joué par les prénoms dans l’idiomaticité, en se limitant aux contextes illustrés par notre corpus. En d’autres termes, elle nous aidera à déceler la symbolique et la signification des prénoms dans le contexte idiomatique kabyle.
3.1. Analyse sémantique des prénoms dans le corpus : une exploration scientifique
Dans ce qui suit, nous analyserons les expressions idiomatiques kabyles collectées, en explorant les valeurs symboliques de chaque prénom exploité.
3.1.1. Exploration des connotations des prénoms féminins
Selon notre corpus, nous avons noté quatre prénoms féminins exploités dans l’idiomaticité kabyle, qui sont : « Fatima »3, « Tassadit » et deux autres qui ne relèvent pas du domaine des dénominations exploitées par les Kabyles, mais leur usage dans les expressions onomastiques est en référence aux prénoms de femmes. Nous parlons de « Kh’riba » et « Gh’riba ».
Premièrement, « Fatima » est utilisé dans l’expression kabyle (1) — « Ad teɛqel Faḍma argaz-is » (Fatima reconnaîtra son époux) est souvent utilisée de manière métaphorique pour décrire une situation qui devient de plus en plus compliquée, où les choses se compliquent progressivement et où il devient de plus en plus difficile de trouver une solution ou de comprendre ce qui se passe. Cela peut être utilisé dans différents contextes, que ce soit dans la vie quotidienne, dans les relations personnelles ou dans des situations plus larges. Elle fait référence à une histoire populaire dans laquelle Fatima, une femme, est mariée à un homme qui est parti depuis longtemps et dont elle ne reconnaît plus le visage à son retour. Cette histoire populaire met en lumière les défis et les émotions complexes auxquels Fatima est confrontée lorsqu’elle retrouve son mari après une longue absence. Elle souligne les difficultés de la communication et de la compréhension mutuelle qui peuvent survenir dans un mariage après une séparation prolongée.
Le prénom « Fatima » est attesté dans l’expression (2) — « D Faḍma lbilaǧ » (c’est Fatima du village). Elle est employée dans la région de Tizi Gheniff. Le prénom Fatima dans cette expression est doté d’une connotation négative. Cette expression décrit une femme qui a adopté la culture française. À son retour dans son village natal, elle n’a pas renoncé à ses habitudes françaises. Elle persiste à adopter un comportement typiquement français, sortant seule, faisant ses courses de manière indépendante, s’habillant à la mode occidentale, et engage des conversations avec les hommes du village… La plupart des villageois kabyles de la région la considèrent comme une femme rebelle qui déchoit aux traditions et aux coutumes établies ainsi qu’aux normes sociétales d’antan.
Dans une autre expression (3) — « A Fadma ! Ɛass axxam ; ay aɛessas, ɛass Faḍma! » (Fatma, garde la maison ! Gardien de la maison, garde bien Fatma !) pour signifier « avoir une confiance limitée. », cela suggère qu’on accorde la responsabilité de la garde de la maison à une personne qui, traditionnellement, n’est pas associée à ce rôle. Car, le plus digne de ce rôle, c’est l’homme. C’est ainsi que Fatima, en tant que femme, n’est pas digne de confiance et ne peut assumer le rôle de garder la maison ou les biens en général. Cette expression suggère la suprématie de l’homme sur la femme dans une société patriarcale.
Enfin, dans l’expression (4) — « Anwa i terniḍ a Muḥend-nneɣ ? D tassaɛdit-nneɣ/ Faḍma-nneɣ » (Qui as-tu vaincu, notre Mohand ? C’est notre Fatima/Tassadit.), le prénom Fatima, qui peut être remplacé par Tassadit pour avoir la même connotation en contraste avec le prénom masculin Mohand4. Dans ce contexte, les deux prénoms Fatima et Tassadit sont associés à une symbolique négative. Ils décrivent une personne choisie comme adversaire moins compétent, représentant le stéréotype de la femme, l’être dominé, de l’imaginaire kabyle, par opposition à Mohand, qui adopte une stratégie déloyale pour paraître supérieur, représentant le stéréotype de l’homme kabyle (Yacine, 1999).
Deuxièmement, les prénoms « Kh’riba » et « Gh’riba » sont attestés dans l’expression (5) — « Seg tewwurt n Xriba ɣer tin n Ɣriba » (De la porte de Kh’riba vers celle de Gh’riba), dite d’une personne, généralement une femme qui, tout le temps, se trouve en dehors de sa demeure conjugale ou chez les voisines. Cette expression repose sur une métaphore exploitant le domaine source des deux prénoms féminins : « Kh’riba », qui est en relation avec « Axrib » (bâtisse en ruine et ruine) (Dallet, 1982 : 905), de la langue arabe « الخراب » (ruine), et « Gh’riba », qui peut être en relation avec le sens d’« une étrangère غريبة » ou de l’« ouest (occident) غرب ». Cela procure à l’expression une symbolique négative. Ces deux prénoms ne figurent pas dans la liste des prénoms kabyles. Ils sont utilisés uniquement dans le langage idiomatique.
En somme, tous les prénoms féminins portent une symbolique négative dans l’idiomaticité kabyle. Mais qu’en est-il de la symbolique de ceux réservés aux hommes ?
3.1.2. Exploration des connotations des prénoms masculins
Les Kabyles font usage de plusieurs prénoms masculins dans le langage idiomatique. Selon le corpus que nous avons établi, nous notons 15 prénoms, dotés d’une symbolique et de valeurs sémantiques variées.
Premièrement, l’anthroponyme « Mohammed » sous toutes ses variantes « Mohand, M’hand et Mouh », est le plus utilisé dans des expressions idiomatiques, sous une symbolique variée. Nous l’expliquerons comme suit :
L’utilisation de « M’hand » est associée à des connotations négatives. Comme il est attesté dans l’expression (6) — « Ulac Mḥend, ulac ilefḍan-is. » (Il n’y a ni M’hand, ni ses saletés.), qui indique l’absence de la personne nommée M’hand et, par extension, l’absence de ses méfaits ou de ses actions nuisibles. Dans ce contexte, le prénom M’hand est associé à une personne avec des actions négatives ou à des comportements problématiques, et l’expression souligne la satisfaction ou le soulagement résultant de son absence. En utilisant la phrase « ses saletés aussi », l’expression suggère, non seulement que la personne M’hand est absente, mais aussi que les conséquences néfastes de ses actions sont également absentes.
Ainsi, dans cette expression, le prénom M’hand est clairement utilisé de manière négative, mettant l’accent sur l’absence de la personne et de ses comportements indésirables. Cette utilisation attribue un sens négatif à M’hand en le liant à des méfaits ou à des actions nuisibles.
Il est également utilisé de manière négative, décrivant une personne qui adopte une stratégie déloyale pour paraître supérieure en choisissant des adversaires moins compétents. Cette utilisation attribue un sens négatif à M’hand en soulignant un comportement méprisable, comme exprimé dans (5) — « Anwa i terniḍ a Muhand-nneɣ ? D Tassaɛit/ Faḍma-nneɣ. » (Qui as-tu vaincu, notre Mohand ? C’est notre Fatima/Tassadit.).
De même, il est associé à un sens négatif en décrivant quelqu’un qui se plaint excessivement, au point où une autre personne propose de prendre en charge la tâche (piocher) pour alléger le fardeau de la personne se plaignant, comme illustré dans l’expression (7) — « Kečč, a Mhend, nqec ; nekk ad lehtey ! » (Toi, Mohand, pioche ; moi, je halèterai !). Dans cette acception, la connotation négative du prénom M’hand pourrait être associée à une attitude perçue comme trop plaintive ou qui exagère la difficulté d’une tâche.
Dans l’expression (8) — « D lɛali Mhend, xas aɣ-it! yesɛa azemmur di ssahel! », le prénom M’hand est utilisé ironiquement pour décrire quelqu’un comme étant un bon parti en raison de ses oliviers dans la plaine. Cette utilisation ironique suggère que malgré les possessions matérielles de M’hand (représentées par les oliviers), la perspective d’un succès ou d’une réussite est en réalité peu probable. L’ironie réside dans le fait que la richesse matérielle de M’hand, symbolisée par les oliviers, ne garantit pas le succès dans d’autres domaines de la vie. La variante (9) — « Yelha Mhend ! » (M’hand est un bon parti.), semble conserver l’ironie de l’expression tout en simplifiant la formulation. Dans ce cas, le prénom M’hand est utilisé pour souligner ironiquement le potentiel d’une personne en tant que « bon parti », suggérant que malgré cette apparence positive, il existe des éléments ou des circonstances qui rendent cette personne moins favorable comme partenaire.
Ainsi, ces expressions utilisent le prénom M’hand de manière ironique pour transmettre une idée de sarcasme ou de doute quant à la véritable valeur ou attractivité de la personne en question, malgré les apparences.
L’expression (10) — « Muḥ n kiskis, yewten taqjunt yeɣḍel mmi-s » (Mouh de Kiskis qui assomme son fils en frappant une chienne) utilise une métaphore saisissante pour décrire quelqu’un agissant contre ses propres intérêts. La métaphore compare cette personne à quelqu’un frappant une chienne et assommant son fils, suggérant ainsi un comportement irrationnel et autodestructeur. Dans ce contexte, le prénom Mouh est utilisé pour désigner cette personne, et l’expression attribue un sens négatif à ses actions en les décrivant comme étant aussi absurdes et contre-productives que de frapper une chienne tout en blessant son propre fils. Cette utilisation de la métaphore crée une image symbolique forte pour illustrer le caractère irrationnel et néfaste des actions de Mouh. Ainsi, ce prénom est associé à un sens négatif dans cette expression, soulignant la critique de comportements autodestructeurs.
L’expression (11) — « Yečča muḥ, yuɣal-d ɣur-i » (Il a mangé Mouh, puis il s’est dirigé vers moi.), dénonce ceux qui empruntent sans rembourser, utilisant le prénom Mouh comme exemple de quelqu’un lésé, avec une métaphore où le prénom représente une personne lésée.
Nous notons une autre connotation négative dans l’expression (12) — « Yenna-as : ɣur-k a Mhend, azger ! Yenna-as : yugar-iyi aṭṭiwen ! » (On dit à M’hend : fais attention au bœuf ! Il a des yeux plus gros que les miens, répond-il). « Je sais ce que j’ai à faire, je n’ai pas besoin de conseils — ou il peut se débrouiller sans moi ! » (Dallet, 1982 : p. 833) où le prénom « M’hand » est utilisé pour illustrer une attitude de résistance ou d’indépendance. Lorsqu’on lui dit de faire attention au bœuf, M’hand répond qu’il sait ce qu’il a à faire, soulignant ainsi son refus de recevoir des conseils ou d’être aidé. Cette expression suggère une connotation négative associée à l’entêtement ou à l’indépendance excessive, indiquant une certaine réticence à accepter des conseils ou une aide de la part de M’hand, ce qui peut être interprété comme un trait de caractère négatif dans le contexte de la situation décrite.
Enfin, cet anthroponyme fait référence à « Mḥend uccen » (M’hand le chacal) qui est attesté dans l’expression kabyle (13) — « D Mḥend uccen » (c’est M’hand le chacal). Ce prénom est en relation avec un des personnages du conte merveilleux amazigh caractérisé par la ruse.
L’usage de « Mḥend » (M’hand) dans l’idiomaticité kabyle, en majorité, est associé à des sens négatifs. Cependant, dans certains contextes, il peut être sujet d’un sens positif, comme il est attesté dans : l’expression (14) — « Iya, a Mḥend, ad k-serɛeɣ » (Viens, M’hand, pour que je t’assomme) s’adresse à quelqu’un de rusé cherchant à tromper une autre personne ou à quelqu’un attendant le destin sans agir pour atteindre ses objectifs. Autrement dit, elle est énoncée par la personne à qui on attribue le prénom M’hand et qu’elle parle en son nom pour exprimer qu’elle est sur ses gardes envers la personne rusée qui cherche à la tromper, cela souligne davantage l’idée de vigilance et de méfiance. Le prénom « Mḥend » devient alors le représentant de la personne prudente et méfiante, plutôt que de la personne cherchant à tromper. Cette expression présente deux variations (15) — « Ɣli-d a Mḥend ad k-ɣeḍleɣ » (Tombe M’hand, pour que je t’assomme), et (16) — « Ɣli-d a Mḥend ad k-ččeɣ » (Tombe M’hand, pour que je te mange).
De même (17) — « Izem, d Mḥend i t-yenɣan ; cciɛa-s, d Abu-sellan », souligne l’injustice où M’hand accomplit une tâche difficile sans recevoir la reconnaissance appropriée, utilisant l’ironie dramatique pour mettre en lumière la disparité entre l’action et la récompense. Le prénom M’hand est associé à une symbolique positive qui vient sous le procédé d’une métaphore, en comparant « le fait qu’il a accompli des tâches difficiles » à la tâche « de tuer un lion » qui demande du courage et un savoir-faire.
Nous avons, aussi, le recours au prénom « Ɛli » (Ali), ou « Weɛli »5 (Ouali), dans les expressions idiomatiques kabyles, qui revêt une palette variée de significations, souvent teintées de nuances symboliques négatives. C’est ainsi que nous avons :
L’expression (18) — « D Ɛli argaz » (C’est Ali-l’homme), cette expression met en avant Ali en tant qu’homme, mais la présence du terme « argaz » (homme) souligne une connotation particulière. La répétition de « Ali-l’homme » suggère une arrogance ou une attitude révoltante d’une femme, accentuée par l’idée qu’Ali ne reconnaît pas ses limites.
Dans l’expression (19) — « Iṣeffer-as-d Ɛli butqurar » (Ali, le bossu, l’a appelé en sifflant), nous avons la mise en scène d’Ali, appelé par un bossu, évoquant ainsi une certaine subordination. Le procédé suscité ici est la métaphore, utilisant le sifflement comme un appel méprisant. La phrase suggère qu’Ali influence en les motivant à accomplir des bêtises, soulignant peut-être une faiblesse de caractère. Elle suggère que la personne dénommée « Ali » est malveillante et incite à la bêtise.
De même, dans l’expression (20) — « D ccuq n urgaz i k-yerran, a Ɛli, d argaz ! » (C’est parce qu’on n’a pas d’hommes qu’on s’adresse à toi, Ali !), sur le détour d’une ironie, souligne que l’adresse à Ali est motivée par le manque d’hommes. Elle implique qu’Ali n’est pas considéré comme un homme véritable, renforçant une connotation de dévalorisation. Ainsi, l’hyperbole est employée pour exagérer le manque d’hommes.
De même, dans l’expression (21) — « Sideɛli bezeḥluli, acufu bla imenɣi » (Sid-Ali bezehluli qui se vexe sans meurtre), on note un autre sens négatif. Elle décrit « Sid-Ali » comme étant susceptible sans raison sérieuse. La figure de style utilisée ici est l’antiphrase, exprimant l’opposé de ce qui est réel. Cette phrase souligne la fragilité émotionnelle d’Ali de manière satirique.
L’expression (22) — « Ɛli n teblabalt yeksan aqeḍar s tmellalt » (Ali de Tablabalt6 a mené un troupeau pour un œuf) se sert d’une métaphore pour décrire Ali comme ayant investi beaucoup d’efforts pour peu de récompenses. Cela souligne l’idée d’une activité laborieuse aboutissant à une rétribution dérisoire, employant ainsi la figure de style de l’hyperbole.
De même, l’expression (23) — « Ɛli yejmen tilufa, yerwa-tent » (Ali qui languissait les épreuves et les a récoltées abondamment), décrit métaphoriquement Ali comme quelqu’un qui attise les épreuves, mais qui finit par les subir abondamment. Elle suggère une imprudence ou un manque de prévoyance de la part d’Ali.
Une autre symbolique négative associée à Ali est attestée dans l’expression (24) — « D zzher n Ɛli butlufa » (c’est la guigne d’Ali aux [multiples] épreuves), utilisant la métaphore de la « guigne » pour décrire Ali comme une personne infortunée ou malchanceuse. Cela renforce l’idée que les épreuves guettent Ali constamment.
En contraste, nous avons également des valeurs symboliques positives associées au prénom « Ali », comme il est attesté dans : l’expression (25) — « Am ssif n sidna Ɛli, yiwen n tyita teɛdem xemsin » (comme l’épée de notre seigneur Ali7). Elle utilise la comparaison pour évoquer la force invincible associée à Ali. L’utilisation de l’épée comme symbole renforce l’idée d’une puissance miraculeuse soutenue. Cela souligne une combativité exceptionnelle.
De même, dans l’expression (26) — « Sidna Ɛli busekkin, tiyita teɛdem xemsin » (Notre seigneur Ali armé de son épée : chacun de ses coups tue cinquante ennemis), il y a l’usage de la symbolique de l’épée d’Ali, suggérant qu’il est une personne fatale. La figure de style utilisée ici est l’hyperbole, amplifiant la puissance d’Ali en le présentant comme capable de réalisations extraordinaires.
Tandis que dans l’expression (27) — « La nhedder ɣef Ɛli, ineggez ɣer Weɛli » (Nous sommes en train de parler d’Ali et il saute vers Ouali), sous l’effet du procédé d’une métaphore, on décrit quelqu’un qui évite de parler ou qui change de sujet. La transition abrupte vers Ouali renforce l’idée d’une personne évitant les discussions désagréables. Dans ce cas, il y a une personnification des sujets de discussion en leur attribuant la dénomination « Ɛli » (sujet évité) et « Weɛli » (sujet dérivatif, brusque).
En somme, le prénom « Ali » dans les expressions kabyles est utilisé de manière complexe, avec des nuances symboliques et l’exploitation de diverses figures de style pour transmettre des connotations allant de la susceptibilité à la puissance extraordinaire, de l’imprudence à la malchance.
Troisièmement, le prénom « Saïd » est attesté également dans trois expressions idiomatiques pour véhiculer des significations évoluant de connotations négatives à neutres. Dans l’expression (28) — « Yal axxam yesɛa Saɛid » (Chaque maison a son Saïd), le prénom « Saïd » acquiert une valeur symbolique négative, symbolisant une personne indésirable au sein de la communauté. Cette métaphore de la maison crée une image symbolique puissante où Saïd devient le symbole d’un fardeau ou d’un problème, renforçant la connotation négative attribuée à ce prénom. Ce dernier peut être sujet d’une substitution avec le prénom « Ceɛban » (Chabane)8, avec la même symbolique négative, ainsi nous avons la même chose avec l’expression idiomatique (29) — « Yal axxam yesɛa Ceɛban. » ou (30) — « Yal taddart tesɛa Ceɛban. » (Chaque maison/village a quelqu’un qui porte le nom de Chabane)
De même, dans l’expression (31) — « Saɛid Abuwaddu, deg ccetwa ad ibennu, deg unebdu ad yetthuddu » (Saïd des At Bouaddou construit en hiver et démolit son ouvrage en été) qui comporte le prénom « Saïd » associé à l’inconsistance, à l’instabilité et à la versatilité. La métaphore des saisons opposées souligne le caractère contradictoire de Saïd, devenant ainsi le symbole d’une personne aux actions imprévisibles et au comportement versatile.
Cependant, l’expression (32) — « Ad tt-yaf Saɛid i yiman-is ad tt-imenni i lǧar-is. » (Que Saïd se la trouve d’abord pour lui, pour ensuite la souhaiter pour son voisin) apporte une nuance sémantique différente au prénom « Saïd ». Elle lui attribue une valeur sémantique neutre. Contrairement aux connotations négatives des expressions précédentes, cette expression souligne la prudence et la prévoyance, illustrant l’idée qu’il est raisonnable de résoudre ses propres problèmes avant d’aider autrui, offrant ainsi une perspective équilibrée sur le prénom.
De même, le prénom « Qasi » (Kaci) est utilisé dans l’idiomaticité kabyle avec ses différentes facettes symboliques. Ainsi, l’expression (33) — « Akken yeqqar Qasi umacuc faqu tiqellaɛin ! » utilise le prénom « Kaci » pour créer une métaphore malicieuse, suggérant que « Kaci Oumachouehe » dévoile les pièges avec astuce, conférant ainsi une connotation positive au prénom. En revanche, l’expression (34) — « Ma txedmeḍ annect-a, ad yeḥlu Qasi (aḍar-is) ! » (Si tu fais ceci, Kaci guérira de son pied !) emploie une métaphore ironique, insinuant que suivre les traces de « Kaci » améliorerait la situation malgré les difficultés. Elle renforce ainsi la connotation négative associée à ce prénom. Par ailleurs, dans l’expression (35) — « Wet a Qasi wet ! ssuma yiwet ! »9 (Frappe Kaci, frappe ; le prix est le même) le prénom « Kaci » est utilisé dans un contexte neutre et non pas nécessairement avec une connotation positive. L’idée principale évoquée dans l’expression est l’encouragement à persévérer malgré les difficultés financières. Elle souligne que frapper, travailler ou agir comme le ferait « Kaci », est équivalent, peu importe la situation financière difficile. Cette neutralité sémantique suggère que le prénom de « Kaci » est utilisé comme un exemple standard, sans connotation particulière de positivité ou de négativité attachée au prénom dans ce contexte spécifique.
En résumé, ces expressions montrent divers aspects positifs de la symbolique du prénom « Qasi » (Kaci), le présentant comme astucieux, améliorateur de situations et source d’inspiration pour surmonter les défis.
Les Kabyles utilisent également les prénoms « Ḥsen10 » (Ahsène, Ahcene) et « Lḥusin » (Hocine), pour aboutir à des images symboliques spécifiques dans des contextes distincts. Le premier est attesté dans l’expression (36) — « Ad ilin lehmum ṭsen, smekti-ten-id a Hsen », le prénom Ḥsen, dans ce contexte, est utilisé pour évoquer l’idée de raviver ou réveiller les malheurs en créant une image symbolique de tourner le couteau dans la plaie. Cela suggère que, plutôt que de laisser les problèmes s’atténuer naturellement, la présence de Ḥsen les ranime et les exacerbe. La valeur sémantique associée à Ḥsen dans ce contexte est négative, car le prénom est utilisé pour décrire une action qui aggrave les difficultés. En contraste, dans l’expression (37) — « Ay ul yebḍan ɣef sin, yebɣa Ḥsen yebɣa Ihusin ! », les prénoms Ḥsen et Lḥusin sont utilisés pour décrire quelqu’un qui court deux lièvres à la fois, illustrant ainsi l’idée de ne pas pouvoir se décider. La valeur sémantique des deux prénoms dans ce contexte semble neutre, car ils représentent simplement deux options entre lesquelles la personne hésite, sans nécessairement suggérer une connotation positive ou négative à Ḥsen et Lḥusin.
De même, le prénom « Ɛmer » (Amar)11 est utilisé dans l’expression (38) — « Aledda n Ɛmer d nneɛma ! » (La bave d’Amar est une bénédiction !) Son utilisation dans ce contexte est liée à son manque d’attention à son hygiène. Il est déconseillé de lui confier la préparation des repas. S’il est invité à le faire, il y a un risque réel de contamination. Sa tendance à goûter constamment et à remettre les restes dans la marmite pourrait involontairement mêler sa salive à la sauce. Il est important de noter que le sens négatif de cette expression idiomatique n’est en aucun cas lié à la dénomination spécifique « Ɛmer ». Cependant, il est associé à une personne stéréotypique qui ne fait pas attention à son hygiène et qui porte le nom « Amar ».
Tandis que l’expression (39) — « D Ɛmer nnefṣ »12 (C’est Amar l’amputé) fait usage du nom d’Amar qui est en référence au personnage du conte kabyle « Amar l’amputé et ses frères ». Elle qualifie une personne dont la stature peut être petite ou diminuée, mais qui se distingue par son ingéniosité et son astuce. Dans ce contexte, le nom « Ɛmer » est attribué à des caractéristiques positives, soulignant l’habileté et la malice de la personne plutôt que de mettre l’accent sur des aspects physiques.
Les Kabyles disent aussi (40) — « Musa lḥaǧ, lḥaǧ Musa » (Moussa Al-Hadj, Al-Hadj Moussa), qui comporte le nom « Moussa »13 accompagné de son statut social « Al-Hadj » pour décrire une situation de stagnation ou d’immobilité qui ne change pas. Dans ce contexte, le prénom Moussa n’est pas utilisé avec une connotation positive ou négative, mais plutôt d’une manière neutre, représentant simplement le nom d’une personne. L’ajout du statut social « Al-Hadj » renforce l’idée de la stabilité ou de la constance, mais dans un contexte qui peut être perçu comme statique, sans progression significative.
Ce même prénom est utilisé également dans l’expression (41) — « S txatemt n sidna Musa » qui signifie « Avec la bague de notre seigneur Moïse ». Le prénom « Musa » (Moïse) est utilisé, dans ce cas, de manière métaphorique pour illustrer la nécessité du temps pour accomplir une tâche.
L’idée sous-jacente est que certaines entreprises et tâches nécessitent du temps et de la patience pour être menées à bien. L’utilisation du prénom Moussa suggère une connotation positive, car Moïse est traditionnellement associé à la patience et à la persévérance dans le contexte religieux. L’expression souligne que certaines réalisations ne peuvent pas être immédiates, nécessitant un investissement de temps similaire à celui qui serait nécessaire pour accomplir une tâche miraculeuse avec l’anneau de Moïse. Ainsi, le prénom « Musa » est utilisé ici pour transmettre l’idée que la réussite demande du temps et de la persévérance, renforçant une connotation positive associée à la patience plutôt qu’à une évaluation négative.
Nous notons un autre prénom qui prend une connotation négative dans l’expression kabyle (42) — « Wet a tajmiɛit, uɣal akka a Belqasem ! » est le prénom « Belqasem » (Belkacem). Dans ce contexte, ce prénom est utilisé de manière ironique pour souligner l’idée de prudence et de retenue, suggérant que cette personne devrait s’abstenir de s’impliquer directement dans la manœuvre des armes. Bien que le prénom ne soit pas explicitement lié à des traits négatifs, l’ironie employée dans ce contexte spécifique crée une image symbolique de quelqu’un hésitant à agir, semblant éviter les responsabilités ou les risques. La valeur sémantique du prénom « Belkacem » dans cette expression prend une teinte négative, car il est associé à l’idée d’une personne préférant rester en retrait par excès de prudence, au détriment de l’action ou de la participation. Ainsi, il est symboliquement lié à une attitude qui peut être perçue comme trop prudente, voire hésitante, dans des situations où l’engagement direct est nécessaire.
Du même pour l’anthroponyme « Lbacir » (Bachir), dans l’expression kabyle (43) — « Yeṭṭef-it lba-cir seg tanzarin ». Elle sert du prénom Bachir pour créer une métaphore indiquant qu’il le tient par le nez, ce qui signifie qu’il est dans une situation difficile financièrement. Le prénom Bachir est associé à l’indigence manifeste, évoquant l’idée d’une personne sans le sou. Cette utilisation métaphorique crée une image symbolique de dépendance financière ou de précarité économique. La valeur sémantique de ce prénom dans ce contexte est clairement négative, renforçant l’idée que le prénom est utilisé pour décrire une personne en difficulté financière. La figure du style exploitée dans cette expression contribue à la perception de Bachir comme étant associé à une situation économique précaire, soulignant ainsi l’usage du prénom pour représenter la pauvreté et la dépendance financière.
L’expression kabyle (44) — « Aql-iyi am sidna yub ; ssura-w tdub. » (Je suis tel notre seigneur Yaâkoub ; ma posture s’est fondue.), utilise le prénom « Yub » (Jacob ou Yaâkoub14) est pour établir une comparaison avec le saint homme Yaâkoub dans un contexte d’épuisement physique. La référence à Yaâkoub renvoie à une souffrance intense, soulignant ainsi une détresse similaire à celle du personnage religieux. L’utilisation de Yaâkoub dans cette expression crée une image symbolique de quelqu’un éprouvant des épreuves physiques difficiles, et bien que Yaâkoub ne soit pas directement associé à la souffrance dans la tradition religieuse, le choix du prénom contribue à évoquer un sentiment de vulnérabilité et de douleur. La valeur sémantique associée au prénom Yaâkoub dans ce contexte semble neutre, car il est utilisé principalement pour illustrer une condition de souffrance sans nécessairement attribuer une connotation positive ou négative au prénom lui-même.
Nous notons, aussi, l’usage des prénoms que les Kabyles n’utilisent pas pour dénommer les membres de leur communauté. Comme est le cas de « Afernas » (Firmus), « Ferɛun » (Pharaon) et « Ɛenṭer » (Antar ou Antara).
Tout d’abord, le prénom « Afernas » (Firmus), qui n’est plus utilisé à notre époque, mais reste ancré dans l’idiomaticité kabyle à travers des expressions : (45) — « Yexdem afernas » (Il a fait un afernas) (46) — « D afernas » (C’est un afernas) et (47) — « Iɛedda ufernas sya » (Un afernas est passé par ici) qui ont le sens de « semer la mort, la destruction et la désolation », sont profondément ancrées dans la culture kabyle et revêt une signification culturelle et historique considérable. Autrement dit, leur domaine source est un fait historique qui se rattache au prénom « Afernas » qui est étroitement lié à l’histoire du prince Firmus, fils de Nuval (Nubel), né à Tizi n’Ath Aïcha, près de Thenia (Ménerville) en Kabylie (Camps, 1998). La relation culturelle entre ces expressions et leur sens est établie à travers leur domaine cible, qui est directement lié à l’histoire de Firmus et à ses actes de rébellion et de destruction dans la région.
Un autre prénom est attesté et utilisé dans le contexte idiomatique que les Kabyles ne portent pas comme prénom est celui de « Ɛenṭer » (Antar ou Antra15). Nous le notons dans l’expression (48) — « Yuɣal-asen d Ɛenṭer » (Il leur devenait un Antar) ou sous la forme non-verbale (49) — « D Ɛenṭer » (C’est un Antar). Elles sont dites d’une personne dure, autoritaire, appliquant de la force pour atteindre ses objectifs en dépit des autres ou de ses confrères. Il renvoie au domaine cible de « caractère dur, courageux d’une personne ». Ce deuxième sens attribué au nom propre « Ɛenṭer », le domaine source, dans cette expression idiomatique kabyle n’a rien à voir avec l’acte de dénomination d’une personne (entité extralinguistique).
Cette dernière expression présente une variation avec la substitution du nom propre « Ɛenṭer » avec « Ferɛun16 », (50) — « Yuɣal d Ferɛun » (Il leur devenait un Pharaon) et (51) — « D Ferɛun » (C’est un Pharaon). Le même nom propre « Pharaon » est utilisé dans une autre expression idiomatique kabyle (52) — « Tečča-iyi temda Ferɛun » (Le lac de Pharaon m’a mangé17), pour dire dans une situation très délicate. La dénomination de « Ferɛun » en kabyle, est un nom qui renvoie au souverain tyran qui remonte à la civilisation égyptienne antique, largement décrite comme une personnalité connue pour le mal et la violence envers son peuple, dans le Coran. Ces expressions idiomatiques kabyles font référence aux croyances islamiques ancrées dans la société kabyle.
3.2. Exploration quantitative des expressions idiomatiques kabyles scénarisant des prénoms
L’examen statistique des prénoms utilisés dans les expressions idiomatiques kabyles révèle des perspectives importantes, notamment leur répartition selon le genre et leur origine, ainsi que les connotations symboliques qu’ils portent dans ces expressions.
Tout d’abord, il est notable que les prénoms masculins prédominent dans les expressions idiomatiques kabyles. Les prénoms les plus courants sont « Muḥend », « Mḥend », « Muḥ » (Mohand, M’hand, Mouh). Ils sont inclus dans douze occurrences. Ils sont suivis des prénoms « Ɛli, Weɛli » (Ali, Ouali) avec dix occurrences. D’autres prénoms masculins moins fréquents sont également présents, totalisant 49 occurrences.
En ce qui concerne les prénoms féminins, « Faḍma » (Fatima) est le plus courant, apparaissant dans quatre expressions distinctes, tandis que « Tasaɛdit, Ɣriba » et « Xriba » ne sont présents que dans deux expressions chacun. Ensemble, ces quatre prénoms contribuent à un total de cinq expressions idiomatiques.
Il est à noter que la prédominance des prénoms masculins peut être liée à la sphère d’influence traditionnelle des femmes, généralement confinées au domicile, ce qui reflète potentiellement une forme de domination masculine, comme mentionné par Bourdieu (1998), qui se manifeste même dans le langage. De plus, Yacine (1999) souligne que « Le langage, l’hexis corporelle, la division des tâches rappellent de manière constante, à la fois explicite et implicite, les fondements de la suprématie des hommes sur les femmes. Les femmes doivent se fondre dans cet « édifice » social et culturel bâti par les hommes et pour les hommes ».
Un aspect important de l’analyse concerne l’origine des prénoms, est le fait que 18 des 19 prénoms répertoriés sont d’origine arabe. Ils reflètent une influence linguistique significative. Seul « Afernas » se distingue par son origine latine, soulignant la diversité des emprunts linguistiques.
En examinant les connotations symboliques des prénoms, on observe que quatre prénoms féminins sont associés à des sens négatifs, totalisant six occurrences, tandis que les prénoms masculins sont souvent associés à des connotations négatives, avec un total de 35 occurrences. En revanche, les connotations positives sont moins fréquentes, avec neuf occurrences au total pour les prénoms masculins, tandis qu’aucun prénom féminin n’est associé à une connotation positive.
En résumé, l’analyse statistique souligne l’importance des prénoms empruntés à l’arabe dans les expressions idiomatiques kabyles, témoignant de l’interconnexion historique et culturelle entre les deux langues. Les prénoms « Mḥend », « Ɛli » et « Faḍma » se démarquent comme des éléments culturels significatifs au sein de la communauté kabyle, bien que la symbolique associée à ces prénoms dans les expressions idiomatiques penche majoritairement vers des connotations négatives.
Il est également pertinent de noter que seuls 19 prénoms sont relevés dans notre corpus, alors que la culture kabyle dispose d’une liste beaucoup plus large de prénoms. La majorité de ces prénoms servent principalement à désigner des personnes, alors que seuls quelques-uns sont utilisés dans des expressions idiomatiques.
Ces expressions illustrent également la capacité de la langue à véhiculer des nuances subtiles de signification à travers l’utilisation de prénoms spécifiques, mettant en lumière les attitudes sociales, les valeurs culturelles et les interactions humaines au sein de la société kabyle. Elles témoignent de la manière dont les prénoms masculins tels que Mohammed, M’hand et Ali sont chargés de significations symboliques qui vont au-delà de leur simple identification individuelle, les inscrivant dans un paysage linguistique et culturel riche en nuances et en contextes.
En étudiant ces expressions, on peut mieux comprendre les dynamiques sociales et les représentations culturelles qui sous-tendent la communication au sein de la société kabyle, offrant ainsi un aperçu précieux de la manière dont les individus perçoivent et interagissent les uns avec les autres dans leur quotidien. Ces nuances linguistiques contribuent à enrichir notre compréhension de la diversité culturelle et des multiples facettes de l’identité kabyle, tout en soulignant l’importance des prénoms et de leur utilisation dans la construction du sens et de la signification dans le langage.
Conclusion
En guise de conclusion, il apparaît clairement que les valeurs sémantiques figuratives attribuées aux anthroponymes dans les expressions idiomatiques kabyles ne sont pas simplement le reflet du sens intrinsèque de ces prénoms. Au contraire, elles émergent des expériences et des traits spécifiques associés à des individus portant ces dénominations, des éléments que la société kabyle a préservés et encodés dans son langage idiomatique. Cette dissociation entre le sens littéral des prénoms et leurs connotations idiomatiques est étayée par l’utilisation interchangeable de différentes dénominations pour exprimer des significations idiomatiques similaires. Comme l’illustrent les expressions (28) (29) et (30) avec les prénoms « Caɛban » (Chabane) et « Saɛid » (Saïd). Les anthroponymes intégrés dans ces expressions visent avant tout à renforcer la dimension expressive et évocatrice des idiomatismes, leur conférant une profondeur sémantique issue des caractéristiques mentales, des connaissances, des expériences individuelles et des perspectives spécifiques des personnes référencées par ces prénoms.
Enfin, pour mieux saisir la symbolique des anthroponymes dans les expressions idiomatiques kabyles, en particulier, et amazighes, en général, une approche comparative avec d’autres langues amazighes est essentielle. Cette analyse élargie permettrait de comprendre les variations culturelles, enrichissant notre compréhension de la symbolique des prénoms au sein des diverses communautés amazighes.
Il est important de noter que ces expressions idiomatiques reflètent non seulement la richesse linguistique et culturelle des Kabyles, mais aussi les valeurs et les perceptions associées à certains prénoms dans leur société. Ces connotations peuvent varier en fonction du contexte et de l’interprétation individuelle, mais elles fournissent néanmoins un aperçu fascinant de la façon dont les noms propres sont utilisés pour communiquer des idées, des émotions et des jugements dans le langage courant.