Introduction
La langue amazighe a été introduite dans les trois paliers du système éducatif de l’’État algérien à partir de l’’année 1995, à la suite d’un mouvement de revendication identitaire et culturelle ayant culminé avec le boycott de l’année scolaire 1994/1995.
L’enseignement de tamazight était assuré, à ses débuts, par un personnel enseignant majoritairement formé dans des domaines autres que ce qui est aujourd’hui officiellement appelé les Départements de Langue et Culture Amazighes (DLCA). À cet égard, selon les données du Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA), les profils des enseignants de tamazight étaient « hétérogènes » et ils n’étaient que « 233 » pour « 37 693 » apprenants durant l’année scolaire « 1995-1996 » (Bilek, 2018 : 10-11). Aujourd’hui, le nombre de personnels enseignants, comme celui des apprenants, serait en expansion. Cependant, les problèmes liés à l’enseignement de tamazight restent nombreux. Cette contribution propose de s’intéresser à celui de la terminologie.
Après l’abrogation de l’’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 portant organisation de l’’éducation et de la formation par la publication de la loi d’orientation1 de l’éducation nationale en 2008, la langue amazighe — comme matière d’enseignement — intègre la liste des différentes matières sur lesquelles sont annuellement examinés les lycéens algériens lors des épreuves nationales du baccalauréat. C’est justement par le caractère national2 de cette épreuve que nous avons voulu traiter la question de la terminologie en essayant de répondre aux questions suivantes :
-
Quelle est la terminologie en usage dans les sujets d’examens de tamazight en Algérie ?
-
Peut-on interroger la fréquence des termes en usage ?
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Existe-t-il une variation terminologique en langue amazighe ?
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L’a-t-on puisée dans les principaux lexiques spécialisés disponibles ou s’agit-il d’une terminologie conçue pour la circonstance ?
En vue de répondre à ces questions de départ, nous avons opté pour le dépouillement de l’ensemble des sujets d’examen rédigés dans les deux principales variétés — sur le plan démolinguistique du moins — de tamazight en Algérie : le taqbaylit (kabyle) et le tacawit (chaouïa). Autrement dit, nous proposerons une analyse terminologique portant sur les unités lexicales spécialisées attestées dans l’ensemble des sujets d’examens du baccalauréat algérien sur la période allant de 2008 à 2021.
Afin d’’accomplir cette tâche, nous avons organisé notre étude en deux parties principales : la théorie et la méthodologie, et puis les résultats de notre étude. Nous débuterons donc par un bref exposé théorique sur le domaine de la terminologie et par la description des vocabulaires spécialisés, en rapport avec l’’enseignement des langues, qui ont été publiés en tamazight. Quant à la deuxième partie de notre contribution, elle sera consacrée à la présentation de la méthodologie conçue pour analyser les termes extraits des sujets d’’examens du taqbaylit et du tacawit et aux résultats obtenus.
1. Aspects théoriques
1.1. La terminologie et ses différentes approches
La naissance de la terminologie comme discipline scientifique est généralement liée à la publication de la thèse d’’Eugène Wüster en 1930 (Rondeau, 1984). À partir des contributions de cet ingénieur en électrotechnique, également chef d’’entreprise, espérantiste et linguiste autodidacte (Humbley, 2007 : 83), la théorie générale de la terminologie (TGT) a pris forme.
Par la suite, divers courants théoriques ont vu le jour, apportant de nouvelles perspectives et approches pour mieux appréhender les termes (Humbley, 2018 : 67-72). Néanmoins, en dépit de la pluralité des théories et méthodes terminologiques existantes, l’’objectif principal de la terminologie appliquée demeure l’étude des termes.
1.1.1. L’optique classique de la terminologie
Toute activité terminologique doit débuter en définissant avec précision les concepts d’un domaine donné et en dégageant les relations qu’ils entretiennent entre eux (Felber, 1987 : 82). C’est l’une des tâches les plus importantes à accomplir dans la terminologie classique, également dénommée « l’optique (…) conceptuelle » de la terminologie (L’Homme, 2004 : 25) ou simplement désignée par le sigle TGT.
Dans un travail terminologique qui s’inscrit dans cette approche, les notions priment sur les formes linguistiques qui les dénomment. Autrement dit, le praticien procède de préférence par une approche onomasiologique, contrairement à ce qui est d’usage en lexicologie où c’est l’approche sémasiologique qui domine. De surcroît, en TGT le terminologue privilégie la perspective synchronique pour normaliser les concepts de chaque champ de connaissance afin de les désigner par une seule unité terminologique. Éliminer en terminologie les ambiguïtés qui caractérisent les lexèmes de la langue ordinaire comme la synonymie et la polysémie est l’un des objectifs que se fixe la TGT. Un terme ne devrait donc ni avoir de synonymes ni être polysémique. En d’autres termes, des rapports de « biunivocité » et de « monoréférentialité » devraient lier le terme à la notion qu’il désigne en vue d’optimiser la communication scientifique (Rondeau, 1984 : 38-40).
1.1.2. L’optique lexico-sémantique de la terminologie
Comme signalé dans le paragraphe introductif de cette première section, l’approche conceptuelle de la terminologie a été sujette à diverses critiques donnant lieu à ce qu’Humbley appelle les « nouvelles approches de la terminologie » (Humbley, 2018 : 67). C’est le cas de l’optique lexico-sémantique mise en avant par Marie-Claude L’Homme (2004 : 32).
Cette approche textuelle de la terminologie vise à prendre en considération les lacunes qui pourraient être engendrées par un travail terminologique se basant exclusivement sur l’approche wüsterienne. Elle voudrait répondre aux divers reproches faits à la TGT : principe de biunivocité entre terme et notion, recours systématique à la démarche onomasiologique pour circonscrire un domaine de connaissance, etc. (Ibid. : 29-32) Effectuer un travail terminologique basé sur l’optique lexico-sémantique, c’est étudier les termes dans leur environnement d’apparition : les textes spécialisés. Elle permet donc de dégager un certain nombre d’informations sur les termes qu’elle considère comme « un type d’unité lexicale » qui possède un « sens spécialisé » (Ibid. : 32-33).
1.1.3. L’optique socioterminologique de la terminologie
La socioterminologie considère la terminologie comme une « branche de la lexicologie (…) qui a en charge l’étude des termes » et consiste en « l’étude sociolinguistique des secteurs lexicaux propres aux sciences (…) ». (Gaudin, 2003 : 11-12)
Cette approche terminologique se concentre, entre autres, sur l’’analyse de l’’implantation des termes conçus par des spécialistes ou des terminologues. Elle s’appuie sur des enquêtes répondant à des méthodologies bien définies en fonction des objectifs du chercheur. Vérifier le degré d’usage d’un corpus de termes chez telle ou telle communauté linguistique est l’une des questions que se propose de traiter cette approche terminologique. Elle est considérée par Auger, l’implantation terminologique en l’occurrence, comme l’’une des six « fonctions fondamentales » qui caractérisent « l’aménagement terminologique » d’’une langue (Quirion, 2000 : 12-13).
1.2. Les lexiques spécialisés en lien avec l’enseignement de la langue amazighe
Le corpus de la langue amazighe est actuellement confronté à des défis en ce qui concerne sa normativisation, et ce malgré les dizaines de ressources lexicographiques disponibles depuis le 19e siècle. Les amazighisants du siècle dernier ont principalement concentré leurs efforts sur la linguistique fondamentale, une étape nécessaire pour décrire de manière exhaustive la langue amazighe dans toutes ses variétés vivantes. Sur ce constat, Chaker estime que « dans notre domaine [les études linguistiques amazighes], l’approche descriptive a été presque exclusive » (Achab, 2013 : 11). Dans les faits donc, ce n’est que vers la fin du 20e siècle que l’on a commencé à organiser des débats académiques autour des questions aménagistes, de normativisation, de l’outillage et de la recherche-action dans les milieux universitaires amazighisants. Les linguistes amazighisants ont commencé à orienter leurs recherches sur les questions de la néologie, de la terminologie et de l’aménagement du corpus de tamazight.
Contrairement aux études consacrées à l’inventorisation des ressources lexicographiques spécialisées qui sont très modestes, la recherche portant sur les documents lexicographiques de la langue générale est relativement bien documentée. Elle comprend des efforts visant à inventorier et à classer les lexiques, dictionnaires et glossaires de la langue générale élaborés à différentes époques historiques. En guise d’exemple, le travail de Bounfour distingue les documents lexicographiques amazighs en fonction de leur période de création : précoloniale (1820-1918), coloniale (1918-1950) et postcoloniale. Les documents élaborés durant la période précoloniale sont qualifiés de « lexicographie utilitaire » en raison de leur origine « amateur » et de leur utilité pour les commerçants, voyageurs, militaires et l’’administration après 1830 en Algérie. Bounfour utilise le terme « lexicographie dialectale » pour désigner les dictionnaires créés pendant la période coloniale, car ils fournissent explicitement des données linguistiques importantes sur des variétés amazighes spécifiques et identifiées. Enfin, il fait référence à la « lexicographie scientifique » pour décrire les ressources lexicographiques élaborées après l’’indépendance des pays d’’Afrique du Nord, en raison des avancées en linguistique dont elles ont bénéficié (Bounfour, Lanfry, Chaker, 1995 : 1-3).
Mais qu’en est-il des documents terminologiques berbères qui traitent des domaines de spécialité ? Dans une certaine mesure, il faut dire que ces derniers n’ont pas suffisamment attiré l’attention des pionniers des études amazighes étant donné qu’ils ne figurent pas dans les premières listes bibliographiques qu’ils ont proposées. Quand ils y sont, ils sont insérés dans les ressources lexicographiques de la langue générale comme c’est le cas de l’Amawal que Lanfry a inclus dans son inventaire de la « lexicographie kabyle » sans pour autant énumérer les autres terminologies thématiques parues à la même période comme le glossaire du manuel de grammaire kabyle de Mouloud Mammeri (1976 : 9-11) ou encore le lexique des mathématiques publié en 1984. Tout compte fait, ce n’est qu’à partir du travail de thèse d’Achab, en 1994, que l’on a commencé à s’intéresser à l’analyse et à la description des terminologies amazighes. De nos jours, l’on pourrait affirmer l’existence d’une demi-douzaine d’essais d’inventorisation, d’analyse, de description et même, pour certains, de conception de terminologies :
-
Les travaux d’Achab (1994, 1996, 2013)
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Le travail de Berkai (2002, 2007, 2009)
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Le travail de Mahrazi (2004, 2011)
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La contribution de Hamek (2015)
-
La contribution d’Amaoui (2015)
-
La contribution de Hocine (2017)
En nous basant sur les inventaires antérieurs et notre propre recherche documentaire3, nous avons recensé douze ressources terminologiques qui proposent des termes susceptibles d’être utilisés dans l’enseignement de la langue amazighe. Ressources que nous utiliserons dans le cadre de cette étude pour vérifier si les concepteurs des sujets du bac de tamazight utilisent ces vocabulaires dans leur processus rédactionnel ou, au contraire, créent les termes dont ils ont besoin de manière ponctuelle. Ci-dessous, un tableau récapitulatif des lexiques en question en précisant leurs intitulés, leurs auteurs, leurs années de publication et de réédition et leurs maisons d’édition. Nous y ajouterons leurs abréviations dans une colonne qui sera utilisée dans la partie analyse (voir la sous-section 3.3).
Tableau Liste des lexiques spécialisés en lien avec l’enseignement de la langue amazighe
Intitulé de l’ouvrage |
Auteurs |
Année (et lieu) de parution et de réédition |
Maison d’édition |
Abréviations |
Tajeṛṛumt n tmaziγt (tantala taqbaylit). Grammaire berbère (kabyle) |
M. Mammeri |
19764 (Paris) |
Éditions Maspero |
TJ |
Amawal n tmaziɣt tatrart (Lexique de berbère moderne) |
M. Mammeri (sous la direction de) |
1976 (Alger) |
Tirage limité Centre National de Recherches Préhistoriques Anthropologiques et Historiques |
MWL |
Tamawalt usegmi (Vocabulaire de l’éducation) |
B. Boudris |
19936 (Rabat) |
Imprimerie Najah El Jadida |
MWLT |
Lexique de la linguistique |
A. Berkai |
2002 (Béjaïa) 2007 (Paris) 2009 (Tizi-Ouzou) |
Université de Béjaïa Éditions L’Harmattan Éditions Achab |
LL |
Amawal n tmaziɣt tatrart (Lexique de berbère moderne : Édition corrigée et augmentée) |
H.-A. Mansouri |
2004 (Alger) |
Haut-Commissariat à l’Amazighité |
MWLII |
Lexique des sciences sociales et de l’éducation |
K. Bouamara |
2009 (Béjaïa) |
Université de Béjaïa |
LSSE |
Vocabulaire grammatical (amawal n tjerrumt) |
A. Boumalk et K. Naït-Zerrad (coordination) |
2009 (Rabat) |
Institut Royal de la Culture Amazighe |
VG |
ⴰⵎⴰⵡⴰⵍ ⴰⵏⵎⵍⴰⵏ (Lexique scolaire) |
Fatima Agnaou (sous la direction de) |
2011 (Rabat) |
Institut Royal de la Culture Amazighe |
LSC |
Asegzawal ameẓẓyan n tsekla (Petit dictionnaire de littérature) |
M.-A. Salhi |
2012 (Tizi-Ouzou ?) |
Éditions L’Odyssée ? |
AAT |
Lexique de la didactique et des sciences du langage |
M. Mahrazi |
2013 (Alger) |
Haut-Commissariat à l’Amazighité |
LD |
ⵎⵙⵎⵓⵏ ⴰⵡⴰⵍ ⴰⵎⴰⵜⴰⵢ ⵏ ⵜⵎⴰⵣⵉⵖⵜ (Dictionnaire général de la langue amazighe) |
M. Ameur |
20177 (Rabat) |
Institut Royal de la Culture Amazighe |
DGLAI |
Asegzawal ameẓẓyan n tesnilest n tmaziɣt (Petit dictionnaire de la linguistique amazighe) |
A. Idir |
2020 (Béjaïa) |
Éditions BERRI |
AAL |
2. Aspects méthodologiques
Notre corpus a été constitué en analysant l’’ensemble des sujets d’’examen rédigés dans les deux principales variétés de tamazight en Algérie, à savoir le taqbaylit (kabyle) et le tacawit (chaouia). À cet effet, nous avons recueilli les sujets du baccalauréat algérien sur lesquels ont été évalués les lycéens algériens de 2008, année marquée par l’’introduction de tamazight dans les épreuves du baccalauréat en Algérie, jusqu’’en 2021. Il convient de noter que nous avons exclu, pour des raisons de faisabilité, les sujets élaborés en touareg. Nous présenterons brièvement dans cette section la structure normalisée des sujets de tamazight et la façon dont nous les avons dépouillés pour extraire et organiser les unités terminologiques qu’ils contiennent.
2.1. Structure des sujets d’examens exploités
Le sujet du baccalauréat de tamazight est un document très volumineux. Il comporte en moyenne seize pages imprimées. On y trouve trois versions qui représentent les variétés sur lesquelles sont questionnés les candidats : le kabyle, le chaouia et le touareg. Deux thématiques différentes sont proposées aux bacheliers : deux sujets pour chaque variété. Le tout en deux heures trente chronométre en main.
À l’instar de ce qui est d’usage dans les examens des langues étrangères, la structure de celui de tamazight se répartit en deux parties principales : un texte accompagné d’une série de questions. Pour évaluer les compétences des apprenants, les concepteurs des sujets optent pour des questions sur la compréhension de l’écrit, la grammaire et la production écrite.
La première partie, notée sur 12 points, propose aux candidats de répondre généralement à des questions sur la compréhension du texte, mais également sur la morphologie, la sémantique et la syntaxe. Les huit points restants portent sur la production écrite des candidats.
2.2. Dépouillement, extraction et organisation des données terminologiques
Dans une contribution récente consacrée à l’importance des outils numériques pour l’’analyse informatisée des corpus, Djouadi (2022) constate qu’’aucun logiciel spécifiquement dédié à l’’analyse textuelle, en particulier pour le traitement de données terminologiques, n’’est disponible pour la langue amazighe. En outre, contrairement aux outils que mobilisent les chercheurs en terminologie dans les langues de grande diffusion comme l’anglais ou le français pour extraire automatiquement les termes depuis les textes spécialisés, nous avons dépouillé puis extrait toutes les unités terminologiques attestées dans les sujets du bac de tamazight en adoptant une démarche semi-automatique (travail manuel et mobilisation de logiciels).
Premièrement, il a été question de faire plusieurs repérages en lisant les sujets sélectionnés dans les deux versions : kabyle et chaouia. Cette étape nous a permis d’exclure les textes sur lesquels sont questionnés les candidats au bac, en raison de leur nature de textes littéraires, donc non susceptibles de contenir les unités terminologiques recherchées.
Après la phase de repérage, nous avons adopté une démarche intuitive pour sélectionner les termes à extraire. Chaque terme extrait est retranscrit dans un tableur que l’on a créé avec le logiciel de gestion de données Microsoft Excel 2013. Pour rappel, chaque édition du baccalauréat contient deux sujets différents : deux en taqbaylit et deux en tacawit. Pour des raisons méthodologiques, nous avons éliminé les termes qui apparaissent plus d’une fois dans la même édition du bac, en les considérant comme des doublons. Les doublons que nous avons gardés sont ceux que nous considérons comme des occurrences : apparition du même terme dans des sujets d’examens d’éditions différentes.
Pour ce qui est de l’organisation des données extraites, nous avons créé un document Excel où nous avons retranscrit les termes des sujets d’examens du kabyle dans une colonne et ceux du chaouia dans une autre. Nous avons procédé par la suite à l’étiquetage de toutes les unités lexicales, que l’on a retranscrites, d’une manière à répondre aux objectifs fixés par notre étude. Ci-dessous un tableau descriptif des étiquettes utilisées.
Tableau Étiquettes utilisées pour l’organisation des données terminologiques
Nom de l’étiquette |
Description de l’étiquette |
Objectif |
Étiquette 1 |
Année de publication du sujet d’examen analysé |
Avoir une vue d’ensemble sur l’évolution de la terminologie utilisée dans les sujets du bac de tamazight |
Étiquette 2 |
Terme attesté dans une seule variété |
Dégager des cas où il y aurait une absence d’équivalence entre les termes usités dans la version kabyle ou chaouia. |
Étiquette 3 |
Concept X désigné par des dénominations lexicalement différentes |
Dégager des cas où il y aurait une variation terminologique |
Étiquette 4 |
Concept Y désigné par des dénominations morphologiquement différentes |
Dégager des cas où il y aurait une variation morphologique |
Étiquette 5 |
Concept Z désigné par une dénomination expliquée par une autre dénomination |
Dégager des cas où il y aurait un recours à des procédés explicatifs |
Étiquette 6 |
Attestation du terme dans les vocabulaires publiés en tamazight |
Vérifier si les concepteurs des sujets utilisent les vocabulaires de spécialités |
3. Résultats
Dans cette dernière section, nous présenterons les résultats de notre analyse. Pour ce faire, nous organiserons ce processus en trois sous-sections :
-
Quelques données qualitatives sur les termes extraits
-
Les termes relevés dans les sujets du taqbaylit et les termes attestés dans ceux du tacawit
-
Les termes récurrents attestés dans les sujets du bac et les termes proposés dans les vocabulaires
3.1. Quelques données quantitatives
3.1.1. Données terminologiques brutes
Après dépouillement de tous les sujets du bac de tamazight publiés entre 2008 et 2021, nous avons pu identifier 327 termes dans les sujets du taqbaylit et 323 termes dans ceux du tacawit. Ces chiffres englobent les termes employés par les rédacteurs des épreuves dans des éditions différentes, ce qui donne une moyenne d’une vingtaine de termes pour chaque édition (année). Aussi représentent-ils les termes extraits dans leur forme brute : sans segmentation ni lemmatisation. En somme, bien que nous prévoyions d’y revenir dans une future publication axée sur cet aspect, les unités terminologiques extraites peuvent être rattachées à trois domaines en lien avec l’enseignement des langues : la grammaire, la didactique et la littérature.
3.1.2. Données terminologiques lemmatisées
Après suppression des doublons, la lemmatisation8 et prise en considération d’autres facteurs comme le recours à des procédés explicatifs par des ajouts que les concepteurs des examens mettent entre parenthèses pour aider le lecteur à décoder les termes (voir la sous-section suivante), nous obtenons une liste de termes plus restreinte. Dans les sujets produits en kabyle, 148 termes sont ainsi dégagés, et 141 dans les sujets écrits en chaouia. La combinaison des deux nous donne une liste d’environ cent termes. Cependant, pour des raisons de faisabilité, nous ne pouvons pas publier les données obtenues dans cette présente contribution.
3.1.3. Fréquence des termes
Il ressort de l’analyse du corpus, soit de l’ensemble des termes attestés dans les sujets du bac du taqbaylit et du tacawit, que les termes avec le plus d’occurrences sont ceux qui désignent les concepts clés des domaines cités dans le paragraphe précédent (voir la sous-section 3.1.1). Ci-dessous, un tableau qui représente les vingt termes dont le nombre d’apparitions dépasse la quatorzaine.
Tableau Les termes les plus usités dans les sujets du bac de tamazight
Termes attestés dans les sujets du taqbaylit et du tacawit |
Équivalents en français |
Nombre d’apparitions |
Tira |
Écriture |
34 |
Aḍris |
Texte |
32 |
Tigzi |
Compréhension |
29 |
Tafyirt |
Phrase |
28 |
Sleḍ |
Analyser |
28 |
Isestanen |
Questions |
24 |
Isumar |
Propositions |
24 |
Tutlayt |
Langue |
22 |
Taseddart |
Paragraphe |
22 |
Tadyant |
Tragédie |
22 |
Tinawt |
Énoncé |
19 |
Afares |
Production (procès) |
18 |
Talɣa |
Forme |
18 |
Tasɣunt |
Conjonction |
18 |
Asenfali |
Expression (procès) |
16 |
Tanfalit |
Expression (résultat) |
16 |
Ullis |
Narratif |
15 |
Aḥerfi |
Simple |
14 |
Amyag |
Verbe |
14 |
Tawuri |
Fonction |
14 |
3.2. Termes en taqbaylit vs termes en tacawit
Comme pour ce qui est attesté en langue ordinaire, les concepteurs des sujets des deux variétés semblent reproduire les variations lexicales et morphologiques qui différencient les deux principales variétés amazighes en Algérie : le taqbaylit et le tacawit. Ces écarts langagiers, qui symbolisent l’ancrage territorial des variétés citées, sont respectés par la commission chargée de l’enseignement de tamazight au niveau du Ministère de l’éducation algérienne.
En guise d’exemple, dans l’édition du bac de l’année 2019, les équivalents de l’interrogatif français « comment » sont donnés sous la forme amek en taqbaylit et mamek en tacawit. Cet interrogatif semble varier d’une édition à l’autre pour ce qui est du tacawit, étant donné que dans le sujet de 2016, il est rendu par mukca.
Autre fait observé, les adjectifs numéraux ordinaux sont construits au moyen de l’élément wis pour le masculin et tis pour le féminin dans les sujets des deux variétés. Néanmoins, les concepteurs des sujets reproduisent les variations qui existent en langue ordinaire pour les adjectifs numéraux. Dans l’un des sujets kabyles de l’année 2020, ils ont opté pour wis sin pour dire « deuxième » au masculin et wis sen pour le dire en chaouia. Ce qu’ils semblent appliquer depuis l’année 2010, étant donné qu’on y retrouve la forme tis snat dans le sujet du kabyle et tis sent dans celui du chaouia pour rendre « deuxième » au féminin. Il convient de préciser que dans le sujet du kabyle, la construction tis snat a été rédigée avec un trait d’union : tis-snat. Aussi, les concepteurs des sujets mobilisent les néologismes kraḍ et ukuẓ pour dire « trois » et « quatre » dans les deux variétés, mais les transcrivent sous différentes formes : kradet, ukuz et ukuzzet.
Globalement, bien que nous ayons exclu les textes sur lesquels sont questionnés les candidats, nous pourrions affirmer que les concepteurs des sujets de tamazight respectent la variation existant entre le taqbaylit et le tacawit en ce qui concerne les unités lexicales ordinaires et les unités grammaticales.
S’agissant des unités terminologiques, objet de notre étude, nous avons recensé quelques écarts que nous pourrions catégoriser en cinq grands groupes de variations : absence d’équivalence, recours à des procédés explicatifs, variations terminologiques, variations morphologiques et orthographiques. Même si des chevauchements sont possibles entre ces différentes catégories, nous essayerons néanmoins de les présenter séparément à travers cinq sous-sections.
3.2.1. Absence d’équivalence
En analysant les termes qui ont été utilisés par les concepteurs des sujets, nous avons remarqué que certains des termes attestés dans les sujets du taqbaylit n’ont pas une équivalence totale dans les sujets du tacawit. En effet, les auteurs ont opté pour la suppression de certains termes dans la version chaouia.
Tableau Termes ne possédant pas d’équivalents dans la version chaouia
Termes attestés dans les sujets du taqbaylit |
Équivalents en français |
Stratégie de contournement |
Année de la publication du sujet d’examen |
Isegran |
Composantes |
Suppression |
2013 |
Tiwuriwin |
Fonctions |
Suppression |
2012 et 2015 |
Tizza |
Situations (?) |
Suppression |
2010 |
3.2.2 Recours à des procédés explicatifs
Pour forger les équivalents des termes kabyles, car nous estimons que c’est l’ordre kabyle-chaouia qui serait suivi par les concepteurs des sujets d’examens, les auteurs recourent à des procédés explicatifs pour aider les candidats dans le processus de décodage des termes. Néanmoins, ce procédé n’est pas propre aux sujets du tacawit. Il est également utilisé dans les sujets du taqbaylit. Les concepteurs des sujets essayent d’expliquer certains termes en mettant leurs synonymes ou d’autres termes voisins entre parenthèses afin de permettre aux lecteurs de se situer dans un champ notionnel donné. Il faut savoir que les langues étrangères sont exclues.
Ci-dessous, un tableau récapitulatif des termes expliqués par d’autres dénominations. Leurs équivalents en français sont donnés entre crochets.
Tableau Les procédés explicatifs mobilisés par les concepteurs des sujets
Termes en taqbaylit [équivalent en français] |
Termes mis entre parenthèses [équivalent en français] |
Termes en tacawit [équivalent en français] |
Termes mis entre parenthèses [équivalent en français] |
Année de la publication du sujet d’examen |
Ales [raconter] |
Ḥki [raconter] |
2015 |
||
Agensay [intradiégétique9] |
Asaḍ [héro10] |
2012 |
||
Aknaw [synonyme] |
Arwas [synonyme] |
2013 |
||
Aktawal [champ lexical] |
Iger n umawal [champ lexical] |
Aktawal [champ lexical] |
Iger n umawal [champ lexical] |
2013, 2016 et 2017 |
Arwas [synonyme] |
Aknaw [synonyme] |
2012 |
||
Arwasen [syonymes] |
Aknawen [syonymes] |
Arwasen [syonymes] |
Aknawen [syonymes] |
2018 |
Iger n umawal [champ lexical] |
Aktawal [champ lexical] |
Iger n umawal [champ lexical] |
Aktawal [champ lexical] |
2014 |
Isem n umeskar [nom d’agent] |
Isem n umigaw [nom d’agent] |
2017 |
||
Tiwsatin |
Lesnaf [genres] |
Tiwsatin [genres] |
Lesnaf [genres] |
2017 |
Tisɣunin [conjonctions] |
Tasɣunt [conjonction] |
Tisɣunin [conjonctions] |
Tasɣunt [conjonction] |
2014 |
Timitar [marques (symptômes)] |
Ticraḍ [marques] |
Timitar [marques (symptômes)] |
Lumayer [marques] |
2017 |
3.2.3 Variation morphologique
Les unités terminologiques que nous exposerons dans cette sous-section sont des termes qui prennent différentes formes : forme A dans le sujet d’une variété et forme B dans une autre. Il convient de rappeler que les concepteurs des sujets reproduisent la variation qui existe entre le taqbaylit et le tacawit concernant les unités grammaticales et les lexèmes de la langue générale. Le tableau ci-dessous montre les variations morphologiques relevées dans notre corpus.
Tableau Variation morphologique
Termes en taqbaylit [équivalent en français] |
Termes en tacawit [équivalent en français] |
Année de la publication du sujet d’examen |
Aknaw [synonyme] |
Iken [synonyme] |
2010 |
Amullis [narratif] |
Ullis [narratif] |
2021 |
Tinawt [énoncé] |
Inaw [énoncé] |
2010 |
3.2.4 Variation terminologique et recours à des procédés explicatifs
Comme précisé dans les paragraphes introductifs de cette sous-section, certains termes utilisés par les concepteurs des sujets varient terminologiquement d’une variété à l’autre et sont également expliqués par d’autres dénominations mises entre parenthèses. Le tableau ci-dessous présente ces variations terminologiques accompagnées de procédés explicatifs.
Tableau Variation terminologique et explication avec d’autres dénominations équivalentes
Termes en taqbaylit [équivalent en français] |
Termes mis entre parenthèses [équivalent en français] |
Termes en tacawit [équivalent en français] |
Termes mis entre parenthèses [équivalent en français] |
Année de la publication du sujet d’examen |
Aknaw [synonyme] |
Arwas [synonyme] |
Arwas [synonyme] |
Aknaw [synonyme] |
2014 |
Iger n umawal [champ lexical] |
Aktawal [champ lexical] |
Aktawal [champ lexical] |
Iger n umawal [champ lexical] |
2015 |
Irwasen [synonymes] |
Iknawen [synonymes] |
Akniwen [synonymes] |
2011 |
|
Iwudam [personnages] |
Udmawen [personnages] |
2009 |
||
Unti [féminin] |
Tawtemt [féminin] |
Tawtemt [féminin] |
2014 |
3.2.5 Variation orthographique
Dans cette sous-section, nous examinerons les variations orthographiques des termes observées au fil du temps, d’une année à l’autre, ou entre les différentes variétés de tamazight, notamment le taqbaylit et le tacawit. Les concepteurs des sujets d’examens semblent reproduire ces variations orthographiques, témoignant ainsi de l’évolution et de la diversité linguistique au sein des deux principales variétés amazighes en Algérie. Le tableau ci-dessous présente quelques exemples de ces variations.
Tableau Termes qui varient orthographiquement
Termes en taqbaylit [équivalent en français] |
Termes en tacawit [équivalent en français] |
Année de la publication du sujet d’examen |
Asswaɣ [réciproque] |
Asswaɣ [réciproque] |
2017 |
Aswaɣ [réciproque] |
Aswaɣ [réciproque] |
2016 |
Ssileɣ [former] |
Sileɣ [former] |
2019 |
3.3 Les termes en usage vs les termes proposés dans les vocabulaires
Dans cette sous-section, nous comparons les termes attestés dans les deux variétés du tamazight avec ceux proposés dans les vocabulaires spécialisés, comme présenté dans le tableau 9. L’objectif est de déterminer dans quelle mesure les concepteurs des examens de tamazight utilisent les lexiques spécialisés pour leurs besoins terminologiques.
Pour des raisons de faisabilité, nous nous concentrons sur les dix termes avec le plus d’apparitions, comme indiqué dans le tableau 3 de la sous-section 3.1.2. Cette comparaison se fait par rapport aux ressources lexicographiques spécialisées précédemment inventoriées, comme mentionné dans le tableau 1 de la sous-section 1.2.
Il est intéressant de noter qu’aucun vocabulaire spécialisé ne propose les dix termes sélectionnés dans leur totalité. Cependant, 9 des termes utilisés par les concepteurs des sujets sont attestés dans deux lexiques spécialisés : l’édition corrigée et augmentée de l’Amawal élaborée par Mansouri et le Lexique des sciences sociales et de l’éducation de Bouamara et al. De plus, le lexique de la linguistique de Berkai contient 8 termes, tandis que celui de Mahrazi en contient 7. Voici quelques remarques sur les unités lexicales que les concepteurs des sujets ont puisées dans les vocabulaires spécialisés :
-
Dans le Vocabulaire de l’éducation de Boudris, l’équivalent de « tira » est « notation ».
-
Dans le Vocabulaire grammatical de l’IRCAM-INALCO, le terme « écriture » est rendu par « tirra » et « tira ».
-
Dans le Dictionnaire général de la langue amazighe informatisé de l’IRCAM, le terme « écriture » est rendu par « tirra » et « tira ».
-
Dans le Lexique scolaire de l’IRCAM, le terme « texte » est rendu par « aḍṛiṣ ».
-
Dans l’Amawal, le terme « tigzi » ne figure pas parmi les entrées du vocabulaire.
-
Dans le Petit dictionnaire de la littérature de Salhi, le terme « tutlayt » ne figure pas parmi les entrées du vocabulaire.
-
Dans le Lexique des sciences sociales et de l’éducation de Bouamara et al., le terme « tadyant » est attesté dans le sens de « aventure » et « évènement ».
Cette comparaison met en lumière les différences et les similitudes entre les termes utilisés dans les examens de tamazight et ceux proposés dans les vocabulaires spécialisés, offrant ainsi un aperçu de l’usage des lexiques spécialisés dans la terminologie tamazight.
Tableau Les termes du bac vs. les termes des vocabulaires spécialisés
Termes du bac |
Equivalents |
Vocabulaires spécialisés |
|||||||||||
TJ |
MWL |
MWLT |
MWLII |
LL |
LSSE |
VG |
LSC |
LD |
AAT |
AAL |
DGLAI |
||
Tira |
Écriture |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Aḍris |
Texte |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Tigzi |
Compréhension |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Tafyirt |
Phrase |
Non |
Non |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Sleḍ |
Analyser |
Non |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Isestanen |
Questions |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Non |
Isumar |
Propositions |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Tutlayt |
Langue |
Non |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Taseddart |
Paragraphe |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Tadyant |
Tragédie |
Non |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Nombre de termes analysés |
1 |
7 |
6 |
9 |
8 |
9 |
3 |
2 |
7 |
5 |
1 |
3 |
|
10 |
Les termes usités dans les sujets du bac et attestés dans les vocabulaires spécialisés |
Conclusion
Cette étude sur les unités lexicales spécialisées présentes dans les sujets du baccalauréat algérien en tamazight (2008-2021) démontre la faisabilité d’analyses terminologiques basées sur une approche textuelle, malgré l’absence d’outils informatiques adaptés à la langue tamazight. En utilisant des méthodes semi-automatisées, nous avons pu obtenir plusieurs résultats significatifs.
Nous avons identifié les divergences entre les sujets en taqbaylit et en tacawit, ainsi qu’une liste de termes communs aux deux variétés. De plus, nous avons comparé un échantillon de ces termes avec ceux proposés dans des vocabulaires spécialisés pour évaluer l’utilisation de ces ressources par les concepteurs des sujets de tamazight.
Au-delà de ces résultats, cette étude souligne l’importance de mener d’autres recherches terminologiques et linguistiques sur les termes utilisés dans les examens de tamazight. Sur le plan sémantique, il serait intéressant de classer ces termes par domaines et d’analyser leurs relations sémantiques. Du point de vue morphologique, une analyse des modes de formation des termes et une typologie néologique seraient pertinentes. De plus, une étude approfondie sur leurs schèmes et racines pourrait être entreprise. Enfin, la création d’une banque terminologique des termes en usage avec des définitions appropriées pourrait être envisagée, avec une gestion informatique et linguistique régulièrement mise à jour.