Avatar 2 : La voie de l’eau de James Cameron, un film (néo) impérialiste ?1

Avatar 2 : طريق الماء من جيمس كاميرون، فيلم (نيو) إمبريالي؟

Avatar 2: The Way of Water by James Cameron, a (neo) imperialist film?

Lamia Mecheri

p. 203-214

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مرجع ورقي

Lamia Mecheri, « Avatar 2 : La voie de l’eau de James Cameron, un film (néo) impérialiste ? », Aleph, Vol 11 (5) | 2024, 203-214.

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Lamia Mecheri, « Avatar 2 : La voie de l’eau de James Cameron, un film (néo) impérialiste ? », Aleph [على الإنترنت], Vol 11 (5) | 2024, نشر في الإنترنت 09 janvier 2024, تاريخ الاطلاع 03 décembre 2024. URL : https://aleph.edinum.org/11810

Cet article propose une étude du film de science-fiction Avatar 2 : la Voie de l’Eau (2022) de James Cameron selon une approche géocritique. Pour ce faire, nous analyserons le thème du (néo) impérialisme, en mettant l’accent sur un conflit fictif opposant les Na’vis, peuple autochtone de la planète Pandora, aux Humains. Cette analyse permettra également de déceler les enjeux politiques et écologiques qui jalonnent le récit futuriste, lequel puise néanmoins ses racines dans le monde contemporain.

تتناول هذه المقالة فيلم الخيال العلمي لجيمس كاميرون Avatar 2 : The Way of Water (2022) من منظور جيونقدي. للقيام بذلك، سنحاول تحليل موضوع الإمبريالية (الجديدة) ، مع التركيز على صراع وهمي بين Na’vi ، والسكان الأصليين لكوكب Pandora ، والبشر. كما سيسمح لنا بتحديد القضايا السياسية والبيئية التي تتخلل السرد المستقبلي، وهو سرد له جذوره في عالم اليوم.

This article examines James Cameron’s science fiction film Avatar 2: The Way of Water (2022) from a geocritical perspective. We will analyze the theme of (neo) imperialism, focusing on a fictitious conflict between the Na’vi, indigenous people of the planet Pandora, and Humans. This analysis will also allow us to identify the political and ecological issues that punctuate the futuristic narrative, which nevertheless has its roots in today’s world.

Introduction

Avatar 2 : la Voie de l’eau (2022) est un film de science-fiction de James Cameron que le cinéaste signe à la suite d’Avatar (2009) avec le même réalisateur. Le long-métrage s’inscrit dans la mouvance du premier puisque l’histoire se déroule dans un futur proche, soit une décennie environ après le premier qui se déroule en 2154. Il renoue avec l’univers de Pandora, une planète géante proche de la Terre. L’intrigue met l’accent sur les protagonistes Jake Sully et Neytiri qui, désormais, forment une famille unie et tentent d’explorer de nouvelles régions encore inexplorées de leur mystérieuse planète. Pourtant, la stabilité du couple est perturbée par une invasion militaire, de sorte que le héros se trouve, à nouveau, projeté dans un conflit armé opposant les Na’vis, peuple autochtone de Pandora, aux Humains. Bref, bien que Avatar 2 soit un film futuriste, il demeure tout de même actuel dans la mesure où il est une parabole de notre époque. En effet, le récit filmique est porteur d’un message symbolique qui remet en cause l’impérialisme et le colonialisme, notamment la domination européenne en Amérique du Nord. S’inscrivant dans une perspective (néo) impérialiste, le message écolo/anti-colonial/anti-militaire/anti-raciste/anti-capitaliste du film est donc autrement plus puissant, selon Jean-François Lisée. Ainsi, en recourant à la géocritique, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : comment le mythe néo-impérialiste européen et celui du fantasme de l’autochtone luttant contre le «  blanc  » prennent-ils forme dans le film ? Comment l’univers écologique et sauvage de Pandora devient-il un prétexte permettant l’émergence des guerres (néo) impérialistes, mais aussi un moyen conduisant le réalisateur à penser l’avenir ?

1. Le planet opera, le nouveau foyer de l’humanité

Nous avons choisi de placer l’étude de notre corpus, comme nous l’avons annoncé plus haut, sous l’angle de la géocritique. Le choix de l’approche de Bertrand Westphal se justifie par le fait qu’il va nous permettre de répondre à notre problématique, en tissant un lien solide entre «  […] les espaces du monde et les espaces du texte  »2, mais aussi en examinant en profondeur les «  […] interactions entre espaces humains et littérature  »3 Nous allons donc emprunter le concept de référentialité qui, dans la réflexion de Bertrand Westphal, met l’accent sur l’étude des «  […] espaces de représentation, autrement dit, tous les espaces vécus à travers les images et les symboles  »4

Dès lors, en envisageant ce film de science-fiction sous l’angle de la référentialité, il ressort que le long-métrage futuriste appartient au sous-genre d’anticipation cinématographique, le planet opera, dont la finalité est de proposer une version possible du monde, en «  […] puisant son inspiration dans le réel et les connaissances actuelles pour envisager une société nouvelle ou différente  »5 Rappelons que le planet opera met, habituellement, en scène les voyages spatiaux des protagonistes, qui se déroulent dans un futur proche ou lointain. Le but de ce voyage interplanétaire est l’exploration d’une seule planète éloignée, mystérieuse et inconnue, en s’intéressant à ses caractéristiques, notamment à la faune, à la flore, aux ressources, à la vie extraterrestre, etc. En outre, il permet de mettre en lumière «  […] tout ce qui touche à la sociologie, l’économie et/ou l’évolution des civilisations de la planète  »6, les caractéristiques mêmes qui s’adaptent au film de James Cameron. De ce fait, le genre cinématographique de science-fiction, précisément ici le planet opera, devient un cadre spatial référentiel métaphorique, ayant pour toile de fond une représentation possible de l’espace terrestre, ou mieux de la Terre. Ceci est une manière, pour le cinéaste, de transporter les conflits terrestres actuels dans un ailleurs symbolique en les amplifiant et en les commentant par une lecture approfondie.

C’est ainsi que prend forme le concept de référentialité faisant la jonction entre l’univers réel et l’univers de science-fiction, qui «  […] a d’abord un rôle d’alerte  »7, comme le souligne Yannick Rumpala. En effet, ce dernier devient un monde possible, projetant le spectateur dans l’univers fascinant de Pandora, une planète exo-lune, géante et mystérieuse, qui devient un espace référentiel symbolique reflétant la Terre, car il y est fait une nette allusion, si l’on porte bien sûr le film à une seconde lecture. Contrairement aux films de science-fiction qui ont pour coutume de mettre en scène la planète Terre envahie par des extraterrestres, le long-métrage de James Cameron, lui, renverse les codes de l’écriture scénaristique classique de la SF. Il attribue aux humains, qui quittent leur planète pour une autre, le rôle d’envahisseurs et de colonisateurs et non de soumis et de colonisés : «  C’est un renversement par rapport à la science-fiction classique, où l’humanité ne se fait pas envahir par des extraterrestres, mais devient l’agresseur  »8, détaille Yannick Rumpala. Il semble que le cinéaste invite les spectateurs à penser les passages, en leur proposant «  […] de multiples manières de quitter notre monde pour partir à la découverte d’autres espaces  », comme le fait remarquer Pierre Bayard9

De ce fait, nous remarquons que l’impérialisme est présent depuis le film Avatar. Quant au film Avatar 2, il s’inscrit dans la même perspective mettant en avant le (néo) impérialisme, l’un des piliers autour duquel tourne l’intrigue. En effet, rappelons que, dans le premier opus, les humains envahissent la planète Pandora et colonisent son peuple autochtone, les Na’ vi. Ces derniers, même s’ils parviennent à se libérer de l’impérialisme humain, ne tarderont pas à se trouver à nouveau envahis par le même colonisateur. En effet, Avatar 2 renforce le caractère de la guerre (néo) impérialiste, qui est au centre du récit filmique, ayant déjà pris forme depuis le premier film avec, cette fois-ci, des intentions nouvelles.

Rappelons que dans Avatar, la conquête de Pandora avait un but soi-disant purement écologique puisqu’il était question d’extraire un minerai, appelé l’unobtanium, ayant la capacité de régler une crise énergétique sur Terre. En revanche, dans le second opus, l’enjeu est de taille, puisque la colonisation devient un motif permettant aux humains de revenir «  […] avec des intentions toujours plus belliqueuses  »10, de coloniser Pandora, «  […], car la Terre meurt et l’humanité a besoin d’un nouveau foyer  »11, mais aussi de dominer le peuple autochtone par une mission civilisatrice plus grande : «  La terre agonise […]. Notre tâche consiste à abolir cette frontière. Il s’agit de faire de Pandora un nouvel habitat pour l’humanité, mais avant d’en arriver là, nous devons pacifier quelques régions  »12, précise un des personnages. Un autre actant confirme au sujet des conflits (néo) impérialistes : «  Le grand équilibre ne les [en parlant des Humains] intéresse pas  »13

Ainsi, le motif du (néo) impérialisme s’incarne à travers la figure du redoutable colonel Miles Quartich qui, dans le premier volet, est laissé pour presque mort, revient, dans le second opus, sous forme d’«  avatar  », c’est-à-dire un être hybride et amélioré «  humain — na’ vi  », ayant pour mission de tuer le protagoniste Jake Sully. Le conflit entre les deux personnages, qui symbolise le conflit entre deux peuples, est un moyen d’affirmer que la relation entre dominateurs et autochtones, sous couvert de développement ou de coopération, est presque impossible. Ainsi, la situation ne fait que s’amplifier, puisque les Na’ vi demeurent hostiles aux plans des humains, en l’occurrence aux projets miniers décrits dans le film. D’ailleurs, les autochtones désignent les colonisateurs — ceux qui représentent un danger de conquête permanente — en recourant à une expression astrale, «  Ceux qui viennent du ciel  », qui traduit leur méfiance. L’expression a une résonance plutôt négative, car elle est liée au contexte de la colonisation, comme le montre cette assertion : «  Une nouvelle étoile dans le ciel ne peut que signifier qu’une chose. […] des vaisseaux qui décelèrent […] le retour de ceux qui viennent du ciel  »14 Leur leader, Jake Sully, un homme blanc dont l’esprit a été transféré dans un avatar afin d’infiltrer les Na’ vi, le confirme et finit par se mélanger au peuple autochtone, en épousant une des leurs, Neytiri. Ceci est, peut-être, une manière de diriger l’autochtone de l’intérieur, une des stratégies (néo) colonialistes, en plus de la domination de l’extérieur :

«  […] ce qui s’exprime ici n’est pas seulement le souhait d’être absous des crimes perpétrés par les blancs contre les peuples qu’ils ont asservis ou exterminés, ce n’est pas seulement le souhait de rejoindre le bon camp, celui de la justice. Mais c’est aussi le souhait de diriger ces peuples de l’intérieur au lieu de le faire de l’extérieur. Pour elle, Avatar est un fantasme sur le fait de cesser d’être blanc en rejoignant le “peuple bleu”, mais sans jamais perdre ses privilèges de blancs.  »15

Pour revenir à la conquête de Pandora qui commence par le voyage interplanétaire, nous constatons que le ciel devient, dans ce contexte, la porte d’entrée et une frontière symbolique conduisant dans la nouvelle planète, à l’image de l’océan, perçu comme une ligne fluide qui, jadis, a permis aux Européens d’aller en Amérique et de conquérir le Nouveau Monde. Quant à l’étoile, elle est aussi un élément céleste important, dans le récit filmique, car elle représente d’une manière ou d’une autre l’envahisseur. De ce fait, les heurts qui éclatent entre les deux peuples sont le fruit d’une relation hostile et défavorable à toute cohabitation. C’est pourquoi la planète Pandora devient le lieu des tensions opposant les humains aux Na’ vi, peuple à la peau bleue faisant allusion manifestement aux Amérindiens à la peau rouge. Tout au long du long métrage, nous remarquons que les affrontements, qui semblent ne jamais prendre fin, deviennent un mythe (néo) impérialiste, c’est-à-dire non pas un récit fictionnel, mais plutôt une histoire perpétuelle des colonisations, qui font le pont entre un passé violent et un futur hypothétique se prolongeant dans le temps présent et prenant, à chaque fois, une nouvelle forme. Il n’y a pas à contester que la domination (néo) impérialiste, politique et économique, telle que décrite par le réalisateur, est une métaphore qui fait référence, dans le domaine de la géocritique, à la domination du Nouveau Monde par les Blancs, entre les Européens et les descendants des immigrés européens installés en Amérique. Ceci donne lieu à l’émergence du fantasme des Amérindiens luttant contre leur ennemi, à travers une quête identitaire, à mi-chemin entre découverte de l’Autre et redécouverte de soi.

«  […] si les Européens ont dû inventer l’Amérique, les Indiens, eux aussi, ont dû inventer la place des “Blancs” dans leurs conceptions du monde. Ainsi, découverte de l’Autre et redécouverte de soi sont des phénomènes présents simultanément des deux côtés, même s’ils n’impliquent pas des processus égaux.  »16

Ainsi, de cette façon, les conflits (néo) impérialistes prennent corps dans le cadre de la conquête d’un nouveau territoire, voire d’une nouvelle planète. Mais, la conquête se fait, encore et toujours, dans le sang et la violence, invitant les spectateurs à un véritable débat de fond relatif, entre autres, à la conquête du Nouveau Monde, celui de la justification de la guerre par les Occidentaux, en général, et les Européens en particulier, dans un discours allégorique : «  Ils [les deux peuples opposés] s’entretuaient pour les territoires […] puis par vengeance. Mais, ils ont fini par admettre que tuer, même quand cela semble justifier, n’engendre que plus et toujours plus de tueries  ». L’extermination des Na’ vi, qui rappelle celle des autochtones amérindiens, nous fait penser aux génocides commis par les colonisateurs à l’encontre des peuples indigènes et nous conduit à réfléchir dans un autre sous-thème présent dans le film de James Cameron, celui de l’écocide. Ce dernier thème, dominant l’univers de la planète sauvage Pandora, sur lequel nous allons mettre l’accent dans la seconde partie et qui fait partie des projets des dominateurs (néo) impérialistes, plonge ses racines dans le monde actuel, puisque le film futuriste du cinéaste est un monde parallèle considéré comme le miroir tendu à notre époque.

2. Pandora, une planète ouverte aux conflits (néo) impérialistes

Dans cette deuxième partie, nous poursuivons notre analyse en nous intéressant, cette fois-ci, à l’aspect écologique — précisément en réfléchissant sur le crime d’écocide — qui, dans le film, devient un prétexte à l’émergence des guerres (néo) impérialistes. Et même si l’histoire du récit filmique se déroule dans un univers futuriste et fictif, elle plonge ses racines dans le monde réel, faisant écho à l’époque actuelle, nous invitant ainsi à penser notre avenir, à la fois incertain et flou. En suivant le parcours du personnage Jake Sully et de sa famille, à travers l’Œil-caméra17, nous remarquons que James Cameron met l’accent sur la destruction de la faune et de la flore dès le début du film, à travers le protagoniste qui souligne : «  […] les forêts de Pandora sont pleines de dangers  »18, mais surtout lorsque Pandora est, à nouveau, envahie par le colonisateur, ou mieux par «  les gens du ciel  ». En effet, au moment où les vaisseaux de ces derniers franchissent la frontière de la planète et atterrissent sur la nouvelle terre, les spectateurs assistent à une scène spectaculaire, celle de la destruction des forêts luxuriantes et paradisiaques. Celles-ci sont très vite ravagées par un feu dévastateur au même titre que les animaux, transformant le décor «  vert  » en un paysage post-apocalyptique, dominé par des couleurs flamboyantes.

D’ailleurs, cette scène est emblématique dans la mesure où elle met l’accent sur deux civilisations différentes, qui n’entretiennent pas le même rapport avec la nature. D’un côté, il est question d’autochtones vivant en paix et en parfaite harmonie avec leur environnement. En fait, les Na’ vi sont, pour ainsi dire, «  […] un peuple “chasseur-cueilleur” qui place la nature et la biodiversité à leur niveau, d’égal à égal  »19 Et, de l’autre, les humains, excepté une minorité, sont présentés comme des envahisseurs, qui se soucient peu de la nature ; «  […] ils sont motivés par l’argent  » et, par conséquent, «  […] prêts à détruire l’écosystème de la planète Pandora pour récupérer les ressources minières présentes  » 4. Cet univers symbolique et référentiel, où interagissent réalité et fiction, incite le spectateur à interroger son rapport à la nature en le sensibilisant aux questions écologiques. Et cela est perceptible à travers le protagoniste, Jake Sully, qui finit par se détourner de son peuple pour rejoindre les Na’ vi et se battre à leur côté. Le protagoniste quitte le corps des Marines et devient même un Na’ vi à part entière, en se servant d’un avatar, mais aussi le nouveau chef des rebelles face à l’oppresseur.

Cependant, le crime d’écocide, mis en scène par le réalisateur, ne concerne pas seulement la destruction de la faune et de la flore. Au contraire, il s’étend jusqu’à la destruction des fonds marins sur lesquels le cinéaste met l’accent, dans ce deuxième opus, comme le suggère le titre du film Avatar : la voie de l’eau. Le spectateur, grâce à la technique de la 3D et des effets spéciaux impressionnants qui donnent de la profondeur aux plans, est invité à faire l’expérience du voyage aquatique. Il est aussi amené à plonger au fond de l’océan et à explorer les abysses marins de Pandora, «  […] dans l’espoir de nous rappeler toute la beauté du monde que nous sommes en train de perdre, et qu’il nous faut absolument protéger  » 1. L’objectif de cette odyssée marine riche en sens est, donc, de sensibiliser les spectateurs quant à l’effondrement des écosystèmes, en l’occurrence marins, qui se sont surtout intensifiés depuis plusieurs décennies20

Il convient de souligner que, par un jeu d’intertextualité filmique, le réalisateur convoque, entre autres, l’œuvre de Francis Ford Coppola, Apocalypse Now, «  […] considéré comme la matrice des violences de masses d’Avatar  »21, qui place au centre de son récit l’une des guerres les plus éco-destructrices. Cela permet aussi d’ancrer le film futuriste dans la réalité, en proposant une vision plus réaliste de celui-ci et une explication plausible du monde actuel. À l’évidence, la guerre participe, d’une manière ou d’une autre, à la dégradation de la nature et à la destruction des écosystèmes. Elle perturbe l’équilibre de la planète et met en péril son système écologique ; elle a un impact considérable sur les modifications écologiques profondes. C’est pourquoi le crime d’écocide prend, ici, une tournure géopolitique, avec toutes les problématiques qui s’y rattachent, comme «  […] les effets environnementaux de la colonisation, la remise en question des mythes du Jardin d’Éden ainsi que la relation entre les interactions biotiques, c’est-à-dire l’ensemble des interactions du vivant sur le vivant dans un écosystème […]  »22

Pour le reste, rappelons que le réalisateur est, depuis son enfance, un passionné des océans ; il est donc logique que l’exploration des profondeurs océaniques soit l’un des thèmes récurrents et chers à James Cameron, un thème qui domine son œuvre cinématographique, tels que les longs métrages Abyss, Titanic, Avatar 1, etc., ou les films documentaires Les fantômes du Titanic, Volcans des abysses, Aliens of the deep, etc. Dans cette perspective, il semble que Na’ vi, mot faisant partie de la franchise d’Avatar et attribué à l’espèce bleue du peuple autochtone de Pandora, est probablement un néologisme dérivé de l’anglais navy, qui veut dire «  marine  ». Lors d’une interview, le cinéaste répond à une question relative à la «  voie de l’eau  » en disant :

«  Je suis un explorateur des océans ; j’étais passionné par la plongée sous-marine bien des années avant de le devenir, et j’étais déjà amateur d’exploration des océans quand j’étais enfant. Il n’est donc surprenant pour personne d’entendre que je me suis senti proche de l’océan toute ma vie. J’ai passé des milliers d’heures sous l’eau dans des environnements peu profonds, des centaines d’heures dans des environnements profonds (et notamment dans l’endroit le plus profond de la planète), et j’ai effectué de nombreuses descentes sur le Titanic. On dit qu’il faut écrire sur ce que l’on connaît ; et je connais bien l’océan. J’aime l’océan. Je me suis donc demandé : pourquoi ne pas réunir deux de mes passions ? Je voulais que ce film traite de la voie de l’eau, et ainsi explorer comment cet environnement qui a connu la naissance de la vie sur Terre a évolué au fil du temps, et les merveilles que nous pouvons encore y trouver aujourd’hui — et ce même dans son état actuel, endommagé par nous, les humains. Le monde dans lequel nous vivons subit de nombreuses transformations ; les océans tels que nous les connaissons aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois. […] alors peut-être que [l’histoire] leur [les sectateurs] permettra de réaliser ce que nous sommes en train de perdre, ici, sur cette planète.  »23

Pour sa part, Tsireya, fille de Ronal et de Tonowari, chef du clan Metkayina, qui accepte d’abriter le protagoniste et sa famille d’humains, nous livre une métaphore relative à la mer, source de toute «  chose  ». Elle dit : «  La voie de l’eau n’a ni commencement ni fin ; la mer est autour de toi et en toi, la mer est ta maison avant ta naissance et après ta mort… l’eau relie toute chose, la vie à la mort, l’obscurité et la lumière […]  »24 Nous remarquons que l’eau prend ici une dimension sacrée. D’ailleurs, l’aspect sacré relatif à l’élément aquatique, qui nourrit le long métrage du début jusqu’à la fin, se retrouve à travers une autre citation : «  La mer donne, la mer reprend  »25, entendue comme une variation tirée des livres sacrés, postulant que Dieu donne et c’est aussi lui qui reprend. Ajoutons à cela la transposition du récit de Jonas, qui fait partie de la culture populaire, et qui permet une relecture postmoderne du film. Autrement dit, le fils de Jake Sully et de Neytiri, Lo’ak, contrairement à Jonas qui, dans les textes sacrés, est avalé malgré lui par une baleine, noue une amitié avec un Tulkun, une baleine de Pandora, qui l’invite à pénétrer dans son ventre. De même, le peuple autochtone, pour fuir son ennemi, se réfugie dans des montagnes flottantes, inspirées des montagnes chinoises de Zhangjiajie, qui fascinent le cinéaste, qu’il combinent avec celles des monts Huang, en les numérisant pour donner naissance à ces incroyables formations rocheuses flottant dans les airs. En effet, nous découvrons, à travers le récit filmique, que les montagnes fictionnelles et référentielles sont appelées Hallelujah, mot aux résonances bibliques, qui se fondent dans un paysage exotique et enchanteur similaire à celui «  d’un Éden possible, car il exclut entièrement les hommes  ». C’est dire à quel point la relation spirituelle et symbiotique qui existe entre le peuple autochtone et la nature, en général, et l’eau, en particulier, est importante et sacrée.

Conclusion

Au terme de cette analyse, nous remarquons que «  Avatar 2 : la voie de l’eau  » est certainement un film (néo) impérialiste qui, non seulement, propose une version possible de notre avenir en anticipant ce qui risque d’arriver, mais aussi une lecture postmoderne de l’époque actuelle, une époque violente et rongée par les conflits impérialistes et (néo) impérialistes. Nous avons montré que l’affrontement entre les humains et les Na’ vi est une métaphore de la domination impérialiste, politique et économique, qui fait référence à celle, par exemple, du Nouveau Monde par les Blancs, entre autres les Européens et les descendants des immigrés européens installés en Amérique. Ainsi, lorsque l’Histoire se répète, les guerres colonialistes reprennent et l’«  oppression réitère les mêmes mécanismes  », laissant place à l’émergence d’un mythe (néo) impérialiste. C’est une façon, pour James Cameron, d’inciter les spectateurs à porter un regard critique sur les débats actuels, entre autres ceux des crimes de guerre et aussi de l’écocide, en les invitant à penser l’avenir. Par ailleurs, le recours à la théorie géocritique, à travers l’analyse des «  relations entre monde factuel et mondes imaginaires  », permet d’infinies ouvertures, pour reprendre le titre d’un chapitre du dernier ouvrage de Bertrand Westphal. Elle nous incite, en outre, à faire une lecture approfondie du film, en nous le faisant voir autrement et en mettant en avant un monde symbolique, à la fois immergé dans la science-fiction et ayant, cependant, en toile de fond un univers réel et actuel.

1 Le titre de cet article est tiré d’une Conférence internationale, Afterlives of Empire in the public imagination, à laquelle j’y ai pris part les 21

2 Westphal Bertrand, La géocritique – Réel, fiction, espace, Paris, Les Éditions de Minuit, 2007, p. 16.

3 Ibid. p. 16.

4 Ibid. p. 128.

5 https://colibris.link/l2QPs [Consulté le 21/08/2023].

6 Roxane Dambre, « Les sous-genres de la science-fiction ». URL : https://colibris.link/CymsE [Consulté le 21/08/2023].

7 Alban Leduc, « Avatar 2, quand la science-fiction démocratise l’écologie et la pensée animiste ». URL : https://colibris.link/KYVvt [Consulté le 22/

8 Ibid.

9 Pierre Bayard, Il existe d’autres mondes, Paris, Les Éditions de Minuit, 2014, p.51.

10 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, États-Unis, Lightstorm Entertainment, 20th Century Studios et TSG Entertainment, 2022.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Gatien Gambin, « Avatar 2 raconte un concept central de notre siècle : l’Anthropocène ». URL : https://colibris.link/bLyYg [Consulté le 22/08/2023]

14 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

15 Paul Rigouste, « Avatar (2009) : le prophète blanc et ses sauvages ». URL : https://colibris.link/6mHrN [Consulté le 24/08/2023].

16 Maíra Pedroso Corrêa Vitale, « La rencontre entre Européens et Amérindiens au XVIème siècle. Une analyse sémiotique subjectale », thèse de doctorat

17 Cf. Jean Châteauvert, « François Jost, L'Œil-caméra. Entre film et roman », in Communication. Information Médias Théories, pp.241-245, 1989.

18 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

19 Mantel Maïlys, « L’écologie dans la science-fiction cinématographique ». URL : https://colibris.link/cMena [Consulté le 29/08/2023].

20 Cf. Didier Gascuel, « La pêche et les écosystèmes marins : deux scénarios », in Futuribles, vol 2 (N° 447), 2022, pp.51-63.

21 Michel Cadé, « Avatar de James Cameron : reprise et dépassement de la représentation cinématographique des culpabilités coloniales dans le cinéma

22 Étienne-Marie Lassi, « Introduction. De l’engagement sociopolitique à la conscience écologique : les enjeux environnementaux dans la critique

23 Michael Greshko, « Avatar : James Cameron nous explique la réalité scientifique qui a inspiré le monde aquatique de Pandora ». URL : https://

24 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

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Victorien Daoût. (s. d.). Avatar 2 : La voie de l’eau. Critique du film. Récupéré le 01 septembre 2023, de http://www.lebleudumiroir.fr/critique-avatar-2-la-voie-de-l-eau/

1 Le titre de cet article est tiré d’une Conférence internationale, Afterlives of Empire in the public imagination, à laquelle j’y ai pris part les 21 et 22 septembre 2023, à « La Sapienza – Università Di Roma ».

2 Westphal Bertrand, La géocritique – Réel, fiction, espace, Paris, Les Éditions de Minuit, 2007, p. 16.

3 Ibid. p. 16.

4 Ibid. p. 128.

5 https://colibris.link/l2QPs [Consulté le 21/08/2023].

6 Roxane Dambre, « Les sous-genres de la science-fiction ». URL : https://colibris.link/CymsE [Consulté le 21/08/2023].

7 Alban Leduc, « Avatar 2, quand la science-fiction démocratise l’écologie et la pensée animiste ». URL : https://colibris.link/KYVvt [Consulté le 22/08/2023].

8 Ibid.

9 Pierre Bayard, Il existe d’autres mondes, Paris, Les Éditions de Minuit, 2014, p.51.

10 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, États-Unis, Lightstorm Entertainment, 20th Century Studios et TSG Entertainment, 2022.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Gatien Gambin, « Avatar 2 raconte un concept central de notre siècle : l’Anthropocène ». URL : https://colibris.link/bLyYg [Consulté le 22/08/2023].

14 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

15 Paul Rigouste, « Avatar (2009) : le prophète blanc et ses sauvages ». URL : https://colibris.link/6mHrN [Consulté le 24/08/2023].

16 Maíra Pedroso Corrêa Vitale, « La rencontre entre Européens et Amérindiens au XVIème siècle. Une analyse sémiotique subjectale », thèse de doctorat, sous la direction d’Ivan Darrault-Harris, 2013, p. 31

17 Cf. Jean Châteauvert, « François Jost, L'Œil-caméra. Entre film et roman », in Communication. Information Médias Théories, pp.241-245, 1989.

18 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

19 Mantel Maïlys, « L’écologie dans la science-fiction cinématographique ». URL : https://colibris.link/cMena [Consulté le 29/08/2023].

20 Cf. Didier Gascuel, « La pêche et les écosystèmes marins : deux scénarios », in Futuribles, vol 2 (N° 447), 2022, pp.51-63.

21 Michel Cadé, « Avatar de James Cameron : reprise et dépassement de la représentation cinématographique des culpabilités coloniales dans le cinéma américain des années 1970 à aujourd’hui ». URL : https://books.openedition.org/pupvd/3479?lang=fr#ftn29 [Consulté le 31/08/2023].

22 Étienne-Marie Lassi, « Introduction. De l’engagement sociopolitique à la conscience écologique : les enjeux environnementaux dans la critique postcoloniale », in Aspects écocritiques de l’imaginaire africain, Étienne-Marie Lassi (dir.), Cameroun, Langaa RPCIG, 2013, p. 5.

23 Michael Greshko, « Avatar : James Cameron nous explique la réalité scientifique qui a inspiré le monde aquatique de Pandora ». URL : https://colibris.link/bcmRB [Consulté le 29/08/2023].

24 James Cameron, Avatar 2 : La voie de l’eau, op. cit.

25 Ibid.

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