La reformulation discursive dans le dictionnaire « Issin » (connaitre) de langue kabyle

الإعادة التصويرية في قاموس "إيسين" (المعرفة) للغة القبائلية.

Discursive reformulation in the dictionary. « Know » the Kabyle Language

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Référence électronique

« La reformulation discursive dans le dictionnaire « Issin » (connaitre) de langue kabyle », Aleph [En ligne], mis en ligne le 20 avril 2024, consulté le 03 mai 2024. URL : https://aleph.edinum.org/11565

Le Tamaziɣt (Kabyle) n’a été reconnue comme langue officielle que ces dernières années par l’État algérien. Cette reconnaissance a mis les chercheurs du domaine face à un grand défi qui est celui de mettre en place des outils lexicographiques adéquats pour son enseignement. Cette a hérité d’une somme de travaux lexicographiques produits, avant, pendant et après la colonisation. Ces travaux étaient l’œuvre de missionnaires catholiques (de Pères blancs dans leur majorité), d’administrateurs et plus tard d’autochtones. Ces productions lexicographiques ont été réalisées dans le format multilingue français /tamaziɣt /arabe, mais la plupart étaient des bilingues français/tamaziɣt et tamaziɣt/français.
Quant au dictionnaire monolingue dont dispose, aujourd’hui, la langue kabyle, celui-ci n’a vu le jour qu’en 2010. D’ailleurs, il constitue l’objet de notre contribution dans cet article. Notre apport se résume à l’étude de quelques reformulateurs discursifs dans ce dictionnaire. En outre, comme nous le savons tous que le Tamaziɣt connait des contraintes assez importantes en ce qui concerne le métalangage. Ainsi donc, la pauvreté constatée est récupérée ou remplacée par l’introduction de reformulateurs discursifs. Nous nous interrogeons donc dans cet article sur le recours du lexicographe à ces reformulateurs discursifs qui pourraient éventuellement constituer une sorte de gage qui pallie une défaillance d’ordre définitionnelle, surtout, celle ayant trait à l’absence de la synonymie.

تلخيص لم يتم اعتراف الأمازيغية «القبائلية» بوصفها لغة رسمية إلا في السنوات الأخيرة من قبل الدولة الجزائرية. هذا التعرف وضع باحثي هذا المجال أمام تحدي كبير وهو إعداد ووضع الأدوات اللغوية المعجمية المناسبة لتعليمها. وقد ورثت هذه مجموعة من الأعمال المعجمية التي تم إنتاجها قبل وأثناء وبعد الاستعمار. كانت هذه الأعمال نتيجة للبعثات الكاثوليكية (وكانت الأكثرية منها للآباء البيض)، والمسؤولين الحكوميين وفيما بعد للسكان الأصليين. كانت هذه الإنتاجات المعجمية عادة ما تكون في تنسيق متعدد اللغات: الفرنسية / التمازيغت / العربية ، على الرغم من أن الجزء الأكبر منها كان ثنائي اللغة الفرنسية / التمازيغت أو التمازيغت / الفرنسية.

أما بالنسبة للقاموس ثنائي اللغة المتوفر حاليًا باللغة القبائلية، فقد ظهرت هذه فقط في عام 2010. ويشكل بالفعل موضوع مساهمتنا في هذه المقالة. يتلخص إضافتنا في دراسة بعض المعادلات الإعرابية في هذا القاموس. بالإضافة إلى ذلك، كما نعلم جميعًا، فإن التمازيغت واجهت العديد من القيود الهامة فيما يتعلق باللغة الفعلية. وبالتالي، يتم استرداد أو استبدال الفقر الملاحظ من خلال إدخال المعادلات الإعرابية. لذلك ، نتساءل في هذا المقال عن جذب المعجم لهذه المعادلات الإعرابية التي قد تشكل في نهاية المطاف نوعًا من الضمانة لتجاوز نقص في النظام التعريفي ، خاصة فيما يتعلق بغياب المرادفات.

Tamazight « Kabylia » has not been recognized as official language only these last years by the Algerian State. This recognition has put the researchers of this field in front of a great challenge which is to prepare and establish the adequate lexicographic tools for its teaching.
This has inherited a sum of lexicographic works produced, before, during and after the colonization. Those works were the product of catholic missionnaries « their majority was of « Pères Blancs », of administrators and later of the autochtons. These lexicographic productions has been realised in the multilingual format; French/Tamazight /Arabic, thus a great part were bilingual French/Tamazight or Tamazzight/French.
Concerning the monolingual dictionnary which nowadays available in Tamazight Language, this one has appeared only in 2010. Moreover, it constitutes the object of our contribution in this article. Our addition is summarized in the study of some discursive reformulators in this dictionnary.
Besides, as we all know that Tamazight has faced many important contraints concerning the metalanguage. Thus, the noticed poverty is recuperated or replaced by the introduction of discursive reformulators. So, we wonder in this article about the appeal of lexicograph to these discursive reformulators which could eventually constitute a kind of pledge pallieting a defficiency in definitional order, above all that having link with the absence of synonymy.

Rachid Adjaout

Université Abderrahmane Mira de Bejaia

Agzul

Tamaziɣt (taqbaylit) ur d-as yettunefk ara wudem unsib sɣur adabu azdayri ala iseggasen-a ineggura. Tesriḥ-a yerra imnuda deg taɣult sdat n yiwen ucqirew d ameqqran d-yettbanen deg uheggi n wallalen iseknawalen ilaqen i wesɣari-ines. Tutlay-ta tewret-d tayemmust n leqdicat iseknawalen d-yettufarsen uqbel, asmi llan da d effir n ukeččum n fransa. Leqdicat-a tufersen-d s ufus n yemrabḍen irumyen, imcegεen n tedbelt ar taggara imezdaɣ iwimi d isaḥ wawal i leqdic ɣef tutlayt-nsen. Taseknawalt-a tettusuffeɣ-d s waṭas n tutlayin : tafransist / Tamaziɣt / Taεrabt, maca tuget n yisegzawalen d sinutlayanen Tafransist / tamaziɣt neɣ Taaziɣt / Tafransist.
Ma yella d isegzawalen aynutlayanen i tesεa ass-a teqbaylit ur d-ilul ara alami d aseggas 2010. Dɣa d wa i d asentel n tukya n umagrad-a. Tukya-nneɣ tewwi-d wezraw n kra n tulsasilleɣ inawen deg segzawal. Rnu ar wanect-a, akken neẓra d akken tamaziɣt ɣers aṭas n wuguren s tixuṭert-nsen, abeεda ayen yerzan waɣefmeslayt. Ihi, lixsas n wawalen deg tutlayt yettas-d deg wadeg-is tulsasilleɣt tinawant. Nesteqsay deg umagrad-a ɣef tegnatin ideg amskenawal tettarrat tmara akken ad yesegdel i taluft n tiwlacin n wawalen di tutlayt s useqdec n tulsasilleɣ inawen ara iɣummen lixsas n tutlayt abeεda deg tsassant ticki i ulac imegdawalen.

Awalen isura

Asegzawal, tasassant, tulsasilleɣ tinawt, anamek, alnamek

Introduction

Nous nous proposons dans cet article de procéder à la description de la reformulation discursive dans le dictionnaire monolingue « Issin » (connaitre) de langue kabyle (K. Bouamara : 2010). Étant donné que le Tamaziɣt, du moins le kabyle, ne dispose que d’un seul et unique dictionnaire monolingue à travers lequel nous tenterons de déceler le rôle prépondérant de ces reformulateurs dans la langue et en particulier dans un tel type de dictionnaire. En outre, comme nous le savons tous, le Tamaziɣt connait des contraintes assez importantes en ce qui concerne le métalangage. Ainsi, la défaillance au niveau lexical constatée est récupérée ou remplacée par l’introduction de reformulateurs discursifs.

Nous nous interrogeons, dans cet article, sur le recours à ces reformulateurs discursifs qui pourraient éventuellement constituer une sorte de palliatif à une défaillance d’ordre définitionnel, surtout celle ayant trait à l’absence de synonymie. Donc, le lexicographe fait appel à la paraphrase pour combler le manque de définitions synonymiques ou de termes synonymiques ? D’une part, ces définitions s’inscrivent dans le sillage d’une définition naturelle. D’autre part, les aspects lexicographiques pèsent aussi sur la démarche que devrait emprunter le lexicographe dans la rédaction, notamment au niveau microstructural. Car le lexicographe pêche dans la subjectivité, particulièrement lors des choix rédactionnels des gloses discursives. Pour ce faire, nous allons d’abord décrire la définition telle qu’elle se présente dans le langage courant, puis nous aborderons la définition dans ce genre de dictionnaire monolingue, et enfin, nous reviendrons sur l’apport des reformulateurs discursifs dans la signification des mots et des objets figurant dans la nomenclature de ce dernier.

Ce travail s’articule autour de trois axes. Dans le premier, nous allons présenter la définition naturelle telle qu’elle est conçue dans l’usage par les locuteurs d’une langue. Dans le second, nous mettrons en exergue la définition lexicographique sans omettre de jeter un aperçu sur la définition stéréotypique. Dans le troisième axe, nous essaierons de nous focaliser sur la notion de reformulateurs discursifs qui constituent l’une des caractéristiques importantes lors de la rédaction de l’article au niveau de la microstructure.

1. La définition

1.1. La définition naturelle

Généralement, le concept de la définition des mots est une construction de l’esprit à travers laquelle les langues tentent d’attribuer un sens à des entités du monde, voire une signification qui correspond à la réalité décrite ou à laquelle elle renvoie. Cette opération logico-linguistique nécessaire à la circulation des signes du langage est, en principe, l’essence même du fonctionnement de chaque langue. Cependant, ladite définition varie d’une langue à une autre, car cela obéit à des impératifs linguistiques et culturels intrinsèques à chacune d’elles (Rey A. 1988 : 13).

Quant à la définition naturelle, elle est, sans nul doute, une définition de mots issus du langage de tous les jours, en d’autres termes c’est une définition ayant trait à la description d’objets du monde (Martin R. 1988 : 86). Dans cette optique, la définition naturelle se distingue de la définition dite conventionnelle, c’est-à-dire des définitions qui spécifient le sens tel que celles du domaine terminologique à l’image du juridique, de la linguistique, du biologique, etc. Par conséquent, nous nous retrouvons ainsi devant deux sortes de définitions : la définition naturelle et la définition conventionnelle.

La définition naturelle est constituée d’une part de définition métalinguistique, dérivationnelle, synonymique ou antonymique qui nous charrie vers ce qui est appelé la définition de mots. D’autre part, la définition de chose nommée qui se scinde aussi en deux genres : La définition de chose nommée visant la pertinence et requiert le minimum de sens. Elle vise aussi la pertinence et la représentation, appelée autrement la définition stéréotypique (idem 1988 : 89). Ce modèle de définitions est celui de la définition faite par les usagers de la langue eux-mêmes et de façon spontanée, autrement appelée définition ordinaire. Cette dernière n’est pas semblable à celle formulée par le technicien qui est le lexicographe (ibidem 1988 : 87).

Quant à la définition conventionnelle, celle-ci obéit à des impératifs d’usage au moment de la dénomination d’un objet, c’est-à-dire la définition d’objets naturels. C’est en ce sens que la définition naturelle s’oppose à la définition d’artefacts linguistiques. Autrement dit, de mots conventionnellement définis que c’est a priori ou a posteriori (Martin R. : 86).

Afin d’être plus explicites, les exemples ci-après exposeront les cas définitionnels des items lexicaux en fonction du type de définition tel qu’il serait envisageable dans la langue Tamaziɣt (kabyle) :

  • La définition naturelle telle qu’elle est exprimée par le locuteur usager de la langue en mettant l’accent sur ses caractéristiques physiques, par exemple : Inijel // Imɣi abaεli yeččur d isennanen iquranen, yettak-d tizwal deg lexrif. Ar leqbayel, imɣi-a yettuneḥsab d imɣi yettḍurrun (Le murier : arbuste sauvage à épines dures qui donne des mures à l’automne. Chez les Kabyles, cette plante est considérée comme nuisible).

  • La définition conventionnelle faite par un lexicographe terminologue dans un éventuel lexique de linguistique. Arsaḍuf (arbitraire) (Mahrazi M. 2013 : p. 30) // Deg teẓri n Saussure, arsaḍuf yesifrir-d assaɣ d-yettilin gar wumsil d wunmik. Tutlayt d tarsaḍuft acku d tamesddugant d tudrikt gar iɛeggalen n tmetti i tt-iseqdacen ; deg unamek-a ur telli ara d tagamant […]. (Dans la théorie saussurienne, l’arbitraire caractérise le rapport qui existe entre le signifiant et le signifié. La langue est arbitraire dans la mesure où elle est convention implicite entre les membres de la société qui l’utilisent ; c’est dans ce sens qu’elle n’est pas « naturelle » […] (Dubois J. et All. 2002 : p. 46).

  • La définition métalinguistique est cette définition qui porte non pas sur le monde, mais sur les mots, c’est-à-dire l’utilisation de la langue pour parler de la langue, comme dans l’exemple qui suit : Itbar : Asget n wawal-a ur yuri ara akken iwata, yewwi-d ad yili itbiren. (Pigeons : le pluriel de ce mot n’est pas écrit correctement). Le mot en question sert à désigner non pas un phénomène dans le monde, mais plutôt une entité linguistique.

  • La définition de chose nommée a pour objet la notion de dénomination qui peut s’effectuer inversement : chose - signe lorsqu’elle prend son ancrage dans le patrimoine cognitif du locuteur, c’est-à-dire relevant de son capital expérimental qui se traduit par l’usage de la langue. Ce phénomène se réalise en deux volets : 1 - La définition visant la pertinence et requiert le minimum de sens, autrement dit le rapport de dénomination s’effectue selon l’idée qui stipule que les choses préexistent aux idées. L’exemple ci-après illustre cette vision : Abernus ar leqbayel, qqaren-as ibidi ». (le burnous chez les Kabyles s’appelle ibidi). 2- La définition stéréotypique découle de l’ensemble des informations nécessaires que devrait posséder un locuteur dans sa langue à propos d’un mot. Exemple : « Argaz mači d claɣem » (est homme, ce n’est pas celui qui possède les moustaches).

1.2. La définition lexicographique

La définition lexicographique est traversée par plusieurs typologies, chacune d’entre elles tentant de privilégier un aspect parmi tant d’autres : la définition par inclusion logique (J. Rey-Debove 1998), celle qui repose sur l’opposition métalinguistique et paraphrastique (Martin R. 1983), la théorie du stéréotype (Putnam H. 1975), celle du prototype (Kleiber G. 1990), etc. Cependant, la pratique lexicographique, de par la nature de ses définitions, se penche aujourd’hui vers l’aspect descriptif à travers lequel les notions de stéréotypie et de prototype sont mises en avant.

En ce qui concerne le contenu définitionnel des items qui préfigurent dans la microstructure du produit lexicographique, il se résume à la célèbre notion d’Aristote relative au genre prochain et à la différence spécifique. Ainsi, l’approche se limite à un ensemble de sèmes sans tenir compte de l’ensemble des relations qui découlent de l’emploi des informations par lesquelles sont dotés les termes vedettes. Ce qui introduit une sorte d’ambiguïté à l’égard des relations syntaxiques composant la totalité des relations définitionnelles attribuées à l’entrée (Frassi P., 2010 : 10).

Le dictionnaire monolingue amaziɣ dont il est question dans cet article est « Issin » (connaitre), édité par K. Bouamara en 2010. Il est composé de 565 pages, rédigé entièrement en langue Tamaziɣt (kabyle) et avec la graphie latine. L’auteur du dit dictionnaire le qualifie de dictionnaire de connaissance qui a pour vocation d’être destiné aux usagers de la langue. Il est constitué d’un préambule explicatif composé de 24 pages dans lequel l’auteur expose la méthodologie relative à l’emploi de son dictionnaire. Toutefois, ce dictionnaire pourrait être évalué du point de vue de la macrostructure et de la microstructure pour soulever les insuffisances dont il souffre. Ce n’est cependant pas l’objet de ce papier donc il n’est pas nécessaire de s’y pencher.

Les entrées de ce dictionnaire monolingue sont présentées sans voyelle initiale du mot vedette (a, u, i et e) au masculin et (ta, tu, ti) pour le féminin. Ce type d’aménagement est introduit par l’auteur pour éviter le regroupement des entrées du dictionnaire. Car, le classement alphabétique ferait ressortir énormément de mots commençant par la lettre « a » ou « ta », ce qui créerait un déséquilibre dans la nomenclature du dictionnaire. Ainsi, l’entrée a été présentée avec la première consonne venant juste après la lettre élidée et pour illustrer ceci, les exemples ci-après tirés du dictionnaire en question en donnent l’image de ces entrées :

  1. buciḍan ou lieu de abuciḍan, tabuciḍant (p. 59) (sorte de vent, tourbillon) ;

  2. fawet ou lieu de tafawett (p. 129) (pièce que l’on met pour couvrir un trou sur un pantalon ou tout autre vêtement) ;

  3. keččawt ou lieu de takeččawt (p. 221) (vers à soie), etc.

En outre, ce qui est à constater dans les définitions des entrées de ce dictionnaire proposées par l’auteur est l’usage non seulement de la synonymie, mais aussi le recours à l’emploi de la paraphrase et des exemples pour expliciter le sens des mots. Hormis l’attribution des sens synonymiques réalisés dans les entrées, les définitions paraphrastiques introduites dans la description du sens sont d’ordre métalinguistique. Du point de vue syntaxique, la paraphrase synonymique substituable fonctionne comme une expansion du mot remplacé : elle a une valeur lexicale (Rey-Debove J. 1970 : 20). Par exemple, l’entrée « gelmim [agelmim] // amkan lqayen ideg ttnejmaεen waman n usewi n tebḥirt d win n lmal » (l’étang est le lieu où l’on réserve l’eau destinée à l’arrosage du jardin et à l’abreuvage du bétail). L’interprétation faite dans cette définition paraphrastique synonymique est réalisée par le recours à la fonction qui implique une identité de signifiés référentiels correspondant en fait à une identité de choses (idem, p. 19).

La structure de la définition de chose obéit au modèle aristotélicien du genre prochain et de la différence spécifique qui peut se présenter par l’inclusion, l’équivalence ou l’appartenance. Dans notre exemple supra, « gelmim [agelmim] » (étang) est le genre prochain, tandis que « amkan lqayen » (endroit profond) est une différence spécifique. Ainsi, il s’agit d’une relation d’inclusion. Autrement dit, le défini est un hyponyme et l’énoncé définitoire attribué est un hyperonyme. Il arrive que l’énoncé définitoire prenne aussi la forme d’un antonyme.

Quant à la stéréotypie, c’est un phénomène en usage dans la lexicographie. Elle se manifeste, généralement, par l’évaluation et par le classement de traits sémantiques avec lesquels sont caractérisés les vocables objet de la définition. La stéréotypie permet de sélectionner une somme de traits linguistiquement importants. En outre, la définition stéréotypique vise à donner, au-delà du contenu minimal de pertinence linguistique, une représentation de l’objet dénommé suffisante pour en permettre l’identification effective (Martin R. 1990 : 88). L’exemple ci-après tiré du dictionnaire « Issin » illustre bien la notion : ktuniya/[tektuniya]//ssenf n lfakya yettcabin tteffaḥ ; igumma n tektuniya sεan ccεer ɣef teqcert-is (Issin 232). (tektunya est une sorte de fruit qui ressemble aux pommes ; ce fruit est couvert à sa surface d’un duvet ou de petits poils).

2. Les reformulateurs discursifs

L’utilisateur de la langue, ainsi que le lexicographe, à interpréter le sens des éléments dans une séquence phrastique. Cette dernière met l’accent sur des aspects qui pourraient offrir un sens équivalent au mot principal. Ce sens pourrait également être exprimé de manière descriptive, analytique ou fonctionnelle.

Comme toutes les langues du monde, le tamaziɣt dispose de reformulateurs qui permettent aux utilisateurs de la langue d’utiliser des tournures pour pallier une carence synonymique ou quand le mot défini est ambigu. En effet, nous avons relevé dans le dictionnaire « Issin » des définitions paraphrastiques mettant en exergue des reformulateurs de sens de type « bu » (propriété de), « ṣṣenf n… » (sorte de…), « swayes » (avec lequel, à l’aide), « yemmal-d » (signifie ou dénote), « ayen akken » (chose avec laquelle), etc. Les entrées dans lesquelles ils sont employés sont :

  1. bu//yes-s ttegen-d medden irbiben (bu dans la langue kabyle sert à former des adjectifs et signifie propriété de). Exemple : bu wuglan (personne ayant une protrusion dentaire), bu tirtaw (personne ayant une chassie) (p. 58).

  2. tibṣelt//ṣṣenf n lxeḍra yettmeččan d tazegzawt neɣ tewwa deg waman, deg zzit, (l’oignon est une sorte de légume qui se mange cru ou cuisiné à l’eau, à l’huile…). Exemple : tibṣelt d asafar agejdan deg wučči n leqbayel (l’oignon est l’ingrédient essentiel dans la nourriture kabyle) (p. 58).

  3. Cic ! // awal swayes yecqirriw umdan wayeḍ (Cic ! est un mot ou une sorte d’interjection avec lequel un individu défie un autre individu). Exemple : Cic ! aẓ-d ɣur-s, ma ur k-rẓiɣ ara ! (Cic ! si tu avances d’un pas vers lui, je te casse !) (p. 85).

  4. Idikel // deg ufus n wemdan, ayen akken yellan gar udebbouz akked yiḍudan (la pomme de la main est une zone faisant partie de la main, située entre le pouce et les doigts) (p. 113).

  5. Deffir // temmal-d tama, amkan yellan ɣer uεrur n kra (p. 107). (Derrière//dénote le côté, endroit situé dans le dos de quelque chose).

Les énoncés définitoires tels qu’ils sont indiqués à travers les différentes entrées sont de nature paraphrastique, c’est-à-dire que l’absence de synonymie pousse le lexicographe à s’investir dans la description discursive pour rendre compte du sens. Pour ce faire, il emploie les reformulateurs discursifs. Reprenant les items pris supra : Dans (i), il était question de l’item « bu ». À ce propos, Basset note que « war » (dépourvu de) s’oppose tout naturellement à « bu » (propriété de), qui est un emprunt à l’arabe. Il se peut que « bu » soit sans statut grammatical du fait que son équivalent ne l’est pas aussi. Ou bien, il pourrait, éventuellement et de manière hypothétique, être considéré comme étant un préfixe. L’association de celui-ci dans la formation des adjectifs aurait des conséquences sur le sens de l’adjectif formé. À ce propos, « les formes lexico-syntaxiques du discours définitoire explicitement métalinguistique sont celles de la “phrase métalinguistique” que J. Rey-Debove (1978 : 163) définit comme “une phrase sur le langage, qui apparaît comme telle dans sa structure de surface à cause des signes qui la composent ; ces signes sont métalinguistiques, autonymes et neutres” » (Riegel M. 1987 : 37).

L’énoncé définitoire de l’entrée « bu » est un acte à travers lequel « yes-s » (à l’aide de) aurait un comportement anaphorique qui représente une sorte de reprise discursive suivie d’un verbe à l’intensif, c’est-à-dire, c’est avec l’item « bu » qu’on pourrait créer des adjectifs. Quant à la nature grammaticale de « yes-s » qui serait un reformulateur qui renvoie à l’entité vedette dans le cadre de la définition paraphrastique de la langue kabyle, il est de type adverbial.

Cependant, dans un esprit hypothétique, le reformulateur « yes-s » aurait probablement un autre statut et on se demande si celui-ci ne serait-il pas un adverbe d’opinion ou de manière ? En outre, s’il s’agit d’un adverbe, la question que nous devrions poser serait : « amek ? » (comment ?). Reprenons l’énoncé définitoire qui a servi à l’interprétation de « bu » de notre exemple cité supra : « amek i d-nselliɣ irbiben deg teqbaylit ? » (Comment forme-t-on les adjectifs en langue kabyle ?) La réponse est, entre autres, par la combinaison de « bu » avec un substantif.

Pour le second (2), « ṣṣenf n… » (sorte de…) est une sorte de délimitation catégorielle de sens auquel l’item devrait appartenir. La reformulation dénote le renvoi à un référent grâce à l’emploi de la préposition « n » qui serait un élément factuel dans l’orientation du sens de l’entrée en question en l’absence de la synonymie. En outre, le fait que « lebṣel » (oignon) est considéré comme étant un légume signifie qu’il partage avec d’autres légumes un certain nombre de traits sémantiques.

Quant au (3), l’entrée « cic ! » qui est un adverbe de manière ne se prête pas à la définition synonymique au même titre que les autres catégories de ce genre. L’identification des différents niveaux d’information lors de l’utilisation de ce type d’adverbes est subordonnée à la nature du contexte dans lequel apparaît l’entrée « cic ! » (interjection ?) En plus, dans cette catégorie d’items, la définition n’est pas donnée dans la forme canonique qui est celle de définir un nom par un nom, un verbe par un verbe et un adverbe par un autre adverbe. Autrement dit, l’énoncé définitoire ne s’inscrit pas dans la même catégorie grammaticale en raison de l’anamorphisme entre la structure syntaxique et la suite des informations. Ce qui implique dans un cas comme celui-ci où l’emploi des reformulateurs discursifs en tant que paraphrase définitionnelle est amplement justifié (Paolo F. : 12).

Par conséquent, la définition de l’adverbe n’obéit pas toujours à la formule de l’inclus et de l’incluant, c’est-à-dire que le premier mot de la définition ne coïncide pas, dans certains cas, avec l’hyperonyme, mais l’hyperonyme et l’entrée lexicale n’appartiennent pas toujours à la même catégorie grammaticale (idem, p. 13).

Dans (3), l’hyperonyme correspond, dans le cas de notre exemple, à plusieurs verbes d’action « cqirrew » (défier), « qamer » (provoquer), « ŗeggem » (avertir), etc., c’est-à-dire que ces verbes sont des cohyponymes, car ils partagent le même hyperonyme. Le syntagme propositionnel issu de l’énoncé définitionnel insiste dans son sémantisme sur l’action de faire ou de ne pas faire.

Pour le (4), il est question du reformulateur discursif « ayen akken » (chose avec laquelle) qui signifie l’absence d’une dénomination précise de l’objet à définir, il est semblable dans la langue kabyle au sens de « ayennat/tayennat » (machin, truc, etc.). Autrement dit, cette forme signifiante est perçue par le lexicographe comme étant quelque chose dont on présume qu’elle signifie quelque chose d’autre sans savoir quoi au juste. Mais, le syntagme « ayen akken ? » (pourquoi ceci ou cela ?) est utilisé dans d’autres régions de Kabylie avec une acception d’interrogatif qu’on introduit, généralement, lorsqu’on voudrait poser une question ou introduire une remarque à la forme interrogative, par exemple « ayen akken teksiḍ deg uɣeggad-nni, yak bab-is yeẓẓa-yas ilili, yegdel? » (Pourquoi paissez-vous dans ce champ-là, pourtant son propriétaire lui a planté le laurier, c’est interdit ?). Il est à constater que ce deuxième sens n’est pas attesté dans le dictionnaire « Issin » (connaitre).

Au plan sémantique, ce phrasème « ayen akken » peut fonctionner comme une expression plus ou moins figée et qui rentre en combinaison lors de la reformulation d’une phrase à caractère descriptif et/ou explicatif. Il s’agit en fait d’une notion de sémiotique de dénomination, c’est-à-dire la capacité d’un signe à réaliser une référence globale dans un discours (Gledhill Ch. et Frath P. 2007 : 64).

Quant au dernier reformulateur discursif relevé du dictionnaire « Issin », en l’occurrence le (5) « yemmal-d » ou « temmal-d » (signifie ou dénote), il s’agit d’une expression qui s’inscrit dans le contexte autonymique où un signe renvoie à lui-même en tant que signe et non à l’objet (Dubois J. 2002 : 60). Rappelant qu’en lexicographie, toutes les entrées sont considérées comme des signes autonymes, car elles se trouvent détachées du contexte discursif ordinaire.

L’opération de désignation est liée à l’ensemble des relations signe/chose (des signes qui décrivent les choses) impliquant la formule de désignation, ou encore le modèle prédicatif dont le signifié assure la désignation de l’objet à définir signe et signe. Bien que la langue kabyle souffre d’absence d’un métalangage relatif à ce type de relations, des expressions telles que : « lmaɛna-s, azal-is, yebɤa ad yini, yemmal-d, etc. » pallient cette carence. Ce palliatif fonctionne sur le modèle : signe1/signifier/ ; avoir comme sens équivalent de/ ; vouloir dire ou dénote/signe 2. En kabyle, on peut supposer que : « awal 1/ lmaɛna-s / ; / yemmal-d / awal 2 » (mot 1/signifie, dénote/mot 2 ou une suite paraphrastique. (Adjaout R., 2011 : 127-129)

Cet état de fait mettant en évidence la pauvreté de la langue en matière de vocabulaire de spécialité exige, à court terme, le recours à la mise en place de néologismes — seul moyen — capable de régler définitivement ce problème. Certes, le phénomène de désignation existe en tant que réalité dans l’usage quotidien de la langue, mais il n’est pas encore conceptualisé en outils terminologiques pouvant être utilisés pour une analyse purement scientifique. Pour ce faire, nous suggérons de retenir temporairement comme appellation pour le terme de « désignation » le vocable kabyle « bedd » (se tenir debout, se mettre debout, se dresser, etc.). Lorsque ce verbe est à la forme factitive « sbedd », il devient l’équivalent du verbe « désigner » en français. Ce vocable apparaît entre autres dans des contextes où la notion de désignation est dite solennellement, comme l’illustre l’exemple suivant : « llamin // argaz yettusbedden d aqerru ɤef taddart » (llamin est l’individu désigné en tant que chef de village). Le sens de « désigner », comme la plupart des signes linguistiques, implique de facto une relation entre le signe et une réalité extralinguistique. Et pour la seconde relation signe/signe qui est interne à la langue, nous proposons le vocable « yettnamak » (signifie ou dénote). Nous illustrons ce cas par l’exemple suivant : « nekk // amqim ilelli n wudem amenzu n wasuf » (moi//pronom de la première personne du singulier). Cette seconde relation est susceptible en principe de décrire sémantiquement tous les termes ayant trait à la grammaire à condition qu’elle s’inscrive dans le cadre autonymique. C’est-à-dire, les vocables grammaticaux se décrivent par d’autres vocables de même catégorie.

De ce fait, il est à constater que dans la première relation, on apprend à répondre à la question : qu’appelle-t-on ? (d acu-t ou d acu-tt ?) tandis que dans la deuxième, le but consiste à mettre l’accent sur la valeur d’un signe donné en opposition avec d’autres signes faisant partie d’un même système linguistique. Autrement dit, à la manière dont Saussure conçoit les signes. Il s’agit de répondre aux questions : quels sont les traits distinctifs d’une unité linguistique par opposition à d’autres ? Quelle en est la catégorie grammaticale ?

Ainsi, dans notre exemple cité supra en (v) Deffir//temmal-d tama, amkan yellan ɣer uεrur n kra (« Issin » 107). (Derrière//dénote le côté, endroit situé dans le dos de quelque chose). Les traits distinctifs du vocable défini « deffir » (derrière) peuvent être décrits par le biais d’un formulateur discursif « yemmal-d » (signifie, dénote) qui introduit un sens en utilisant dans une séquence paraphrastique des éléments qui nous renvoient vers le référent espace. Ici, dans ce contexte précis, le lexicographe dispose alors d’une façon de désigner : au moyen de l’anaphore déterminée « d » qui renvoie à l’entrée en question. Le déterminant ou copule dans la langue kabyle « d » (vers ici) est un morphème monophonique homophone considéré comme étant un déictique d’orientation spatiale de proximité s’opposant à un autre déictique spatial « n » (vers là-bas) d’éloignement.

Conclusion

Au terme de cette étude, nous tenons à rappeler que la reformulation discursive constitue l’une des solutions aidant à remédier à l’absence d’équivalence synonymique lors du traitement microstructural des entrées dictionnairiques. En outre, le travail sur ce type de reformulateurs constitue un manque à gagner sur le plan de la signifiance des gloses dictionnairiques dépourvues de synonymes.

Notons que la définition paraphrastique s’appuyant sur ces différents reformulateurs aide le lexicographe à mieux cerner le sens des entrées et à présenter un produit dictionnairique à la hauteur des attentes des usagers de la langue. Car, sans doute, le pouvoir du lexicographe réside dans la fixation de la forme signifiante, ce qui est primordial dans la prise de conscience du mot objet de la définition. Pour ce faire, ce technicien de la dictionnairique propose des usages et des sens en perpétuelle évolution. En effet, avec la maîtrise graduelle d’une langue, cela contribue inévitablement à la progression des connaissances, surtout avec l’introduction massive de ces reformulateurs dans le cadre des définitions, aurait un impact satisfaisant en la matière.

Le Tamazight reste cette langue à forte tradition orale qui souffre d’un manque flagrant d’un métalangage qui l’aiderait à mieux représenter les différents découpages de la réalité. D’ailleurs, parmi les manques relevés du dictionnaire « Issin » (connaitre) à ce propos, nous citons la pauvreté de celui-ci en termes de reformulateurs.

La lexicographie monolingue de Tamaziɣt (kabyle) demeure ce parent pauvre des études amazighes, car elle n’est qu’à ses balbutiements. Quant aux perspectives, de manière générale, tout reste à édifier dans cette dictionnairique, à commencer par l’introduction des aménagements sur les deux plans macrostructure et microstructure.

Pour ce qui est de la définition phrastique usant de formulateurs discursifs, celle-ci reste un pan à découvrir en ayant recours à un inventaire exhaustif de ces reformulateurs afin de maîtriser leur sens quand la situation oblige à y faire référence. Au demeurant, la richesse d’une œuvre dictionnairique réside dans la richesse de son métalangage, surtout quand celle-ci est confinée dans l’oralité. Ainsi, le recours à l’emploi des reformulateurs discursifs devient une nécessité impérieuse.

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