Peut-on parler d'une diaspora Algérienne ?

Can we say about an Algerian diaspora

Aziz NAFA

p. 5-28

Aziz NAFA, « Peut-on parler d'une diaspora Algérienne ? », Aleph, Vol. 4 (2) | 2017, 5-28.

Aziz NAFA, « Peut-on parler d'une diaspora Algérienne ? », Aleph [], Vol. 4 (2) | 2017, 25 June 2018, 23 November 2024. URL : https://aleph.edinum.org/1069

Le concept de « diaspora» est d’un usage très répandu ces trente dernières années dans la littérature anglophone et francophone. Il est appliqué pour désigner les migrants chinois, indiens, libanais, juifs, ou la communauté des migrants noirs, etc. Aussi, ces cinq dernières années, ce terme fait son entrée en Algérie et devient en vogue dans la sphère politique et médiatique substituant ainsi celui de « communauté algérienne établie à l’étranger» qui désigne officiellement cette partie de la population algérienne. Cependant, les Algériens de l’étranger forment-ils une diaspora ? La question vaut d’être posée, car elle n’est pas définitivement tranchée concernant cette communauté. Partant de l’analyse de la littérature contemporaine (d’Armstrong 1976, Sheffer 1986, Cohen 1997, et Dufoix 2012) du concept de diaspora, l’article traite de son accointance avec le cas de la migration algérienne.

Algerian community abroad : Algerian diaspora ?

The concept of "diaspora" is widely used in the last thirty years in Anglophone and Francophone literature. It is applied to designate Chinese, Indian, Lebanese, Jewish, or black migrants, etc. Also, in the last five years, this term makes it’s entry in Algeria and becomes in vogue in the political and media sphere substutuant thus supporting that of Algerian community established abroad which officially designates this part of Algerian population. However, do Algerians living abroad form a diaspora? The question is worth asking because it is not definitively decided on this community. Starting from the analysis of contemporary literature (Armstrong 1976, Sheffer 1986, Cohen 1997, and Dufoix 2012) of the concept of diaspora, this article deals with this acquaintance in the case of Algerian migration.

Diaspora, Algerian Community, Migration, Concept

في العقود الثلاثة الأخيرة شاع استخدام مصطلح diaspora في الكتابات الأدبية الفرنكوفونية والانجلوفونية، فقد تم استخدامه لتصنيف المهاجرين الصينيين، الهنود، اللبنانيين، او الجالية المهاجرة من دول افريقيا جنوب الصحراء ......إلخ، في السنوات الخمس الأخيرة تم ادخال هذا المصطلح الى الجزائر ليصبح شائع الاستخدام في المجال السياسي والإعلامي واحلاله محل مصطلح «الجالية الجزائرية بالخارج» والذي يحدد وبشكل رسمي جزء من المجتمع الجزائري لكن هل فعلا الجزائريين المتواجدين بالخارج هم diaspora. سؤال يستحق الطرح لأنه لم يتم التطرق اليه مسبقا. فمن خلال التحاليل الأدبية المعاصرة (d’Armstrong 1976, Sheffer 1986, Cohen 1997, et Dufoix 2012) لتحديد مصطلح diaspora ، سيعالج هذا المقال مسالة تعيين الجالية الجزائرية بالخارج .

Ces cinq dernières années, le terme de diaspora1 connaît un regain d’intérêt sans précédent en Algérie. Étant banni, précédemment, pour des raisons de connotation ethnique et religieuse, il se trouve, aujourd’hui, une place de plus en plus importante dans les discours politiques et dans les médias en Algérie. Cependant, il est de notre devoir de mesurer son accointance avec le cas algérien. Pour se faire, une analyse conceptuelle du mot «  diaspora » s’impose.

Comment saisir le concept de Diaspora  ?

Nous n’avons nullement l’intention de faire un travail théorico-historique du concept «  diaspora », mais tout simplement de lui donner le sens qui lui convient pour mieux cerner l’objet de cet article. Le concept «  diaspora » est fréquemment utilisé pour qualifier les nationaux résidant à l’étranger. Ces origines remontent néanmoins à l’époque grecque «  spiro » qui veut dire «  semer » et a été utilisé dans l’histoire des migrations internationales notamment pour désigner les juifs exilés qui se regroupent entre eux pour maintenir leur identité et leur croyance (Wihtol De Wenden 2005). Aujourd’hui, le concept de diaspora est d’un usage très répandu et appliqué pour désigner les migrants chinois, indiens, arméniens, palestiniens, ou la communauté des migrants noirs, etc. Concernant les Algériens de l’étranger, ils ont toujours été désignés, par «  communauté algérienne établie à l’étranger2 », plus récemment, ces cinq dernières années, le concept de diaspora algérienne fait son entrée dans la sphère politique et médiatique. Sommes-nous en présence d’une diaspora  ?

Il est donc nécessaire de préciser ce qu’est la diaspora. Sheffer (1986) est sans doute l’un des premiers auteurs qui a réussi à cerner d’une manière plus élaborée et succincte le concept de diaspora, dans son ouvrage intitulé, Modern Diaspora in international Politics. Il propose alors la définition suivante : «  les diasporas modernes sont des groupes ethniques minoritaires, issus de la migration, qui résident et agissent dans des pays d’accueils tout en maintenant de liens forts affectifs et matériels avec leurs pays d’origine leurs patries (homelands) » (Sheffer 1986, 3). Cette définition constitue pour son époque une véritable innovation, le concept désignait non pas la circulation des personnes, mais plutôt les déplacements, avec connotation de «  déplacés », en référence aux communautés juives ou arméniennes, à l’instar des travaux d’Armstrong (1976)3. Une nouvelle caractéristique émerge, décrivant ainsi les solides liens avec le pays d’origine, que l’auteur appel «  homeland » qui veut dire attache à la patrie.

D’autres auteurs considèrent que la définition proposée par Sheffer n’apporte pas encore suffisamment de critères précis pouvant ainsi aboutir à un concept achevé. Ainsi, Cohen (1997, 2) dresse une liste de critères faisant de cette définition, une définition catégorique (Dufoix, 2004). Selon l’auteur, la notion de diaspora se définit selon les critères suivants, qui doivent être remplis collectivement :

  1. « dispersion à partir d’un lieu d’origine, souvent traumatique, vers au moins deux régions étrangères  ;

  2. Expansion territoriale pour des raisons de recherche de travail ou de commerce ou de poursuivre les ambitions coloniales  ;

  3. Existence d’une mémoire collective du pays d’origine  ;

  4. Idéalisation du pays de départ et l’existence d’engagement collectif envers son soutien, reconstitution, prospérité et sécurité ou même sa création  ;

  5. Développement d’un mouvement de retour qui obtient l’approbation collective  ;

  6. Forte conscience ethnique du groupe soutenue au fil du temps et basée sur un sens de signe distinctif, une histoire commune et un destin commun  ; (vii) Rapport conflictuel avec les sociétés d’accueil qui se manifeste par le manque d’acceptation dans le pays d’arrivée  ;

  7. Empathie et solidarité avec les membres du groupe ethnique installé dans d’autres pays de destination  ;

  8. Possibilité de développer un sens créatif, de meilleures conditions de vie dans des pays avec une tolérance envers le pluralisme » (Cohen, 1997, 26.)

Cette définition ne semble pas être comme le souhaitait l’auteur, une définition précise, avec la proposition des 9 critères. Elle ne s’adapte pas du moins à la réalité d’aujourd’hui, dont nous considérons que la diaspora puise sa force et son existence par son organisation nationale et transnationale, par les réseaux, sa mobilité et ses ressources.

Toutefois, les critères qui définissent une diaspora ne font pas toujours l’unanimité et sont souvent débattus par les différents auteurs. Le problème définitionnel est une constante de l’étude (Meyer, 2003).

Notre intérêt, ainsi que notre choix définitionnel pour le concept diaspora, va porter sur la définition du S. Dufoix (2012). Nous considérons que l’auteur propose, en premier lieu, une définition adaptée à la nouvelle réalité du monde caractérisé par le développement des Technologies d’Information et de la Communication (TIC) et de la globalisation des pratiques. En second lieu, des critères permettant de jeter une assise conceptuelle solide pour nous éclairer de la typologie du migrant algérien et sa position vis-à-vis du concept de diaspora.

Dufoix définit ainsi la diaspora sur la base de cinq critères essentiels :

  1. La dispersion d’une communauté dans plusieurs lieux (éloignés du pays d’origine)  ;

  2. Des lieux de destination qui sont en conformité avec la structure des chaînes migratoires reliant les migrants à ceux qui sont déjà installés dans les pays d’accueil  ;

  3. La conscience et la revendication d’une identité ethnique ou nationale  ;

  4. L’existence d’une organisation politique, religieuse ou culturelle du groupe dispersé (se matérialisant notamment à travers la vie associative)  ;

  5. Et l’existence de contacts sous diverses formes avec le pays d’origine, organisés notamment en réseaux d’échange (ex, hommes, biens et services, informations… etc.).

Il découle de cette définition trois éléments que nous considérons essentiels, pour ce qui va de notre intérêt, à savoir, l’existence d’une conscience et mémoire collective revendiquée et qui pourrait être transmise. Cette conscience développe un sentiment d’appartenance qui crée et renforce des liens forts avec les pays d’origine  ; l’existence d’une organisation de communauté sous forme d’associations et en réseaux permettant ainsi d’identifier les volontés des membres de la diaspora et ses motivations envers le pays d’origine et enfin, l’existence de réseaux d’échange, qui s’accompagnent par le développement des actions et des opérations concrètes avec le pays d’origine. Elles peuvent être commerciales, économiques, de transfert technologique, etc. Le schéma ci-après illustre parfaitement ces différents liens combinés de facteurs réunissant territoires, espaces et réseaux de diaspora, avec tout ce qu’ils comportent comme traits et caractéristiques. Cette figure, est en revanche, une proposition sur les représentations synthétiques de la dynamique identitaire portant sur la diaspora chinoise, issue des différents travaux associant Internet et diaspora chinoise, mais que nous considérons à même d’expliquer l’organisation des diasporas.

Figure  : réseaux et organisation des diasporas

Figure  : réseaux et organisation des diasporas

Source : (Raynaud 2011, 54)

Il nous paraît intéressant de revenir sur la récente étude consacrée aux usages du mot diaspora. Stéphane Dufoix a proposé d’identifier deux grandes phases : la première serait à partir des années 1970-1980, le mot diaspora accolé alors de manière enthousiaste à une pluralité de phénomènes migratoires aux dépens d’un vocabulaire plus traditionnel jugé inadapté pour décrire les flux et trajectoires des migrations contemporaines. La seconde serait, quant à elle, marquée par un inventaire et un réexamen critiques des apports de la notion depuis les années 1990 (Dufoix, 2011).

Pour illustrer d’une manière plus critique les études diasporiques, nous partons du constat de Guillaume Calafat et Goldblum (2012, 8), qui distinguent deux courants : les partisans des diasporas «  centrées » et les promoteurs des «  diasporas hybrides ». Les premiers proposant de resserrer la typologie des critères diasporiques, à partir d’un noyau dur de diasporas considérées comme idéales-typiques (Safran, 1991  ; Tölölyan, 1996  ; Cohen, 1997  ; Sheffer, 2003). Les seconds concernent les diasporas, dans le sillage des cultural studies », comme «  des points de départ non-normatifs » (Clifford, 1994, P.306) permettant de mieux saisir le caractère hybride ou globalisé des identités postmodernes ou contemporaines (Hall, 1990  ; Ang, 1993  ; Gilroy, 2010  ; Appadurai, 1996). Cette séparation entre «  définition fermée » et «  définition ouverte », donnait l’image d’un champ d’études très différent. Les uns les réduisent et les autres l’attribuent au contraire à un toujours plus grand nombre de groupes, de communautés ou de phénomènes sociaux (Dufoix, 2003, 2011  ; Brubaker, 2005  ; Mayer 2005  ; Mishra, 2006).

Le concept de diaspora se conjugue ainsi en parfaite connivence avec l’espace et le temps. En effet, la multiplicité des pratiques4 dans une même communauté complexifie l’usage application et l’usage du concept de diaspora. Cette nouvelle réalité laisse apparaître une possible présence de plusieurs diasporas dans une même communauté, on parlerait alors de Diaspora(s) au pluriel, selon Stéphane Dufoix (2016)5.

Peut-on assimiler la communauté algérienne établie à l’étranger à une diaspora  ?

Pour répondre à cette question «  peut-on assimiler les migrants algériens à la diaspora  ? » nous nous référerons à la définition de S. Dufoix (2012) proposé dans les paragraphes précédents, que nous considérons comme bien adaptée à la problématique posée dans cette recherche. À ce titre, nous passerons en revue, les cinq critères caractérisant la diaspora, selon l’auteur :

  • La dispersion d’une communauté dans plusieurs lieux (éloignés du pays d’origine)

La migration algérienne est historiquement présente pour sa quasi-totalité en France. Toutefois, depuis ces dernières années, les Algériens diversifient les destinations et s’orientent de plus en plus vers les États-Unis, le Canada ou l’Espagne. Les données du ministère des Affaires Etrangères montrent une nette augmentation du taux d’émigration entre 2010 et janvier 2014, de plus de 300 000 nouveaux candidats, qui peut s’expliquer pour diverses raisons (études, travail, famille, autres), comme nous pouvons le constater dans le tableau ci-après :

Figure 2 : Émigration algérienne (2010-2014)

Zone

2010

 %

2014

 %

Taux de variation

France

1 412 343

81 %

1 651 415

80 %

16 %

Europe

184 028

11 %

220 479

11 %

19,8

Amérique(s)

68 721

4 %

99 350

5 %

44,55

Maghreb

43 630

3 %

44 785

2 %

2,64

Machrek

24 165

1 %

35 107

2 %

45,28

Afrique

4 741

0,3 %

3 377

0,2 %

-28

Asie et Océanie

2 602

0,1 %

4 232

0,2 %

62,64

Total

1 740 230

100 %

2 058 745

100 %

 

Source : Données collectées auprès du Ministère des Affaires Étrangères

Ces données représentent le solde migratoire inscrit au niveau des services consulaires algériens. Certaines destinations affichent un plus grand intérêt puisque nous enregistrons une augmentation de 45 % pour l’Amérique et le Machrek et plus de 62 % pour Asie et l’Océanie. Ceci n’est pas significatif compte tenu du faible nombre de personnes comparé à la France qui représente 80 % de la migration algérienne. Enfin, la diaspora algérienne est présente en Europe, Amérique du Nord, Maghreb Machrek et Moyen-Orient, estimé selon Algerian International Diaspora Association (AIDA) à 7 millions à l’échelle du globe. Le ministère des Affaires Étrangères (2014) l’estime à 2 millions dont plus de 80 % établis en France. Le dernier chiffre annoncé officiellement, le 3 février 2015, par l’Ambassadeur de France à Alger fait état de 5 millions de Franco-Algériens regroupant toutes les générations d’immigrés.

  • Des lieux de destination qui sont en conformité avec la structure des chaînes migratoires reliant les migrants à ceux qui sont déjà installés dans les pays d’accueil

En complément aux données susmentionnées qui exposent la répartition spatiale des Algériens, nous développerons dans ce qui la structure cette chaîne migratoire. Pour illustration, nous aimerions faire référence à la citation de Maurice Parodi : «  De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1990, l’émigration algérienne vers la France a connu de profondes mutations non seulement dans le volume de ses flux, mais surtout dans sa nature. Ses mutations sont le résultat de l’évolution différentielle de la démographie en France et en Algérie et tout autant des facteurs économiques et des facteurs politiques sur les deux rives de la Méditerranée » in M. Khendriche et al (1999). En effet, l’émigration algérienne vers la France est très ancienne, remonte à bien avant l’indépendance en 1962 et depuis à nos jours, elle a connu des changements profonds. Elle est marquée par l’évolution conjoncturelle des contextes économique, social et politique. Il ne s’agit pas de faire l’historique de la migration algérienne et nous n’avons nullement la prétention de répertorier les différentes étapes ayant caractérisé l’histoire des mouvements migratoires entre l’Algérie et la France et vice-versa. Plusieurs chercheurs se sont intéressés longuement sur l’histoire de l’émigration de l’Algérie d’avant et post-indépendante qui s’est soldée par de multiples publications académiques (ouvrages et articles), des rapports et des études suffisamment importants, donnant ainsi une véritable visibilité à la sociologie de l’émigration et de l’immigration algérienne. Nous citerons à cet effet les principaux auteurs (P. Bourdieux, A. Sayad, A. Kadri, M. Khandriche, M. Kouidri, M. Musette, H. Abdellaoui) ayant marqué et alimenté la recherche académique sur ce sujet sur plusieurs niveaux, démographique, sociologique, économique, insertion, etc. Néanmoins, nous ne pouvons pas ignorer le modèle «  des trois âges de l’émigration algérienne en France » proposé par Sayad (1977) qui présente remarquablement les différentes étapes qui ont marqué le mouvement migratoire algérien. Le premier âge est vécu par les migrants sur une courte période, où les personnes étaient désignées pour travailler en France pendant un temps et revenir participer aux activités agricoles. Pour ce qui est du deuxième, le séjour devient de plus en plus allongé et le motif de retour n’est plus pour participer aux activités agricoles. Le troisième âge correspond à l’installation durable des migrants et se caractérise davantage par l’établissement en famille des populations en France. Cette époque décrite par A. Sayad, concerne pour l’essentiel et fondamentalement l’émigration économique. Celle-ci au vu du temps, s’est transformée pour des raisons sécuritaires, politiques et idéologiques. Celle-ci au vu du temps, s’est transformée pour des raisons sécuritaires, politiques et idéologiques.

Figure 3 

Figure 3 

Source : Produit par le Figaro.fr sur la base des données de l’Insee

On voit clairement la migration ascendante qu’a connue l’Algérie ainsi que pour la plupart des autres pays, durant la période 1954-1975, marquée par une politique volontariste et soutenue par les autorités françaises pour accompagner de développement socio-économique. Cette époque caractérise le premier âge décrit par A. Sayad. La tendance va à la baisse jusqu’aux années 1999 pour se stabiliser. L’Algérie connaîtra à partir des années 1990, une nouvelle forme d’émigration, notamment celle des étudiants et des cadres, c’est qu’on appellerait alors, brain drain ou fuite de cerveaux.

  • La conscience et la revendication d’une identité ethnique ou nationale

L’étude de Jennifer Bidet et Lauren Wagner (2012, 117) a démontré que le maintien de séjours réguliers par les immigrés et descendants d’immigrés algériens apparaît comme le signe d’un attachement particulier à la terre des ancêtres. Par ailleurs, spécifiquement, l’émigration coloniale et postcoloniale a été longtemps animée par «  l’illusion du provisoire » ou «  le mythe du retour » (A. Sayad, 2006). Une mobilisation de plus de 40 réseaux de compétences algériennes dispersés principalement en Europe, Amérique du Nord, très actifs avec le pays d’origine (ANIMA 2010, 43). Et l’existence d’une mémoire collective qui caractérisait l’émigration coloniale et celle des années 1960 à fin 1980 pour qui la naturalisation était mal perçue par les émigrés, vue comme «  impossible reniement » pour une population s’étant battue contre le colonisateur français «  Sayad 1993 » in (Bidet et Wagner 2012).

  • Existence de contacts sous diverses formes avec le pays d’origine, organisés notamment en réseaux d’échange (ex, hommes, biens et services, informations… etc.) et l’existence d’une organisation politique, religieuse ou culturelle du groupe dispersé (se matérialisant notamment à travers la vie associative)6  ;

L’attache des Algériens à leur pays d’origine n’est pas uniquement matérialisée par des vacances au bled, comme il a été largement mentionné dans les paragraphes ci-dessus. D’autres liens se matérialisent également par, à titre d’exemple, l’entrepreneuriat et l’investissement production en Algérie, le transfert technologique, le transfert financier, etc. Les gens d’affaires de la diaspora algérienne porteurs de projets dans le pays d’origine ne sont pas isolés et n’évoluent pas seuls dans le processus entrepreneurial (NAFA, 2015). Ils sont acteurs et interagissent avec d’autres acteurs du pays d’immigration et ceux du pays de départ, tout le long du processus, de l’émergence de l’idée d’investissement en Algérie, à la concrétisation du projet, jusqu’au fonctionnement et au développement de l’activité (NAFA, 2015). Ces acteurs sont des professionnels spécialisés dans l’accompagnement des investisseurs dans le pays d’origine, des réseaux sociaux et diasporiques qui partagent, informent et orientent leurs concitoyens  ; et enfin, de la famille, des amis et des connaissances qui constituent des relais entre ici et là-bas. Ajoutées à cela, les politiques publiques sur l’investissement, la réalité du contexte économique et social et les conditions de réalisation des investissements (climat des affaires), constituent des facteurs déterminants, un stimulus pour encourager et motiver l’acte entrepreneurial des Algériens établis à l’étranger. Les dernières mesures7 prisent les pouvoirs publics algériens en 2018, en faveur de la communauté à l’étranger, sont des éléments probants aux renforcements des liens affectifs et économiques avec l’Algérie.

Il est également important de souligner les transferts de fonds vers l’Algérie qui ont atteint les 2, 10 milliards de dollars pour 2018 (Banque mondiale, 2018), mais qui reste très faible comparé aux autres pays à titre d’exemple, Liban avec 22 milliards, le Maroc 7 milliards, Égypte avec 18 milliards, etc. dont le ratio population globale et celle établie à l’étranger sont presque similaires à celui de l’Algérie. Toutefois, les transferts informels ne sont pris en considération et qui avoisine les 4 milliards $, selon les experts.

Dans le souci de développer des liens d’affaires et des passerelles entre l’Algérie, pays d’origine, et le reste du monde, les gens d’affaires s’organisent en réseaux et souvent, avec un caractère transnational, à l’instar des résultats des travaux de Aziz NAFA (2015) qui se décline comme suit :

  • Ils sont transnationaux : s’organisent dans les pays d’accueils et agissent dans le pays d’origine. Nous citerons (ASI, MEDAFKO, APNA, ATLAS).

  • Ils activent plus dans une optique nationale «  pays d’accueil », mais avec des actions très orientées vers le pays d’origine. Exemple (ACIM, REAGE et NAC, ICE, CEINAF, Conseil Algéro-Américain et LECODEV)

  • Ils activent plus dans une optique nationale, mais agissent essentiellement dans le pays d’accueil auprès des communautés d’origine (ADIVE, FFA)

  • Ils activent plus dans une optique nationale dans le pays d’origine. Elles ont été créées en Algérie par les membres de la diaspora et ont pour mission l’aide au développement du pays d’origine (Casbah Business Angel).

  • Ils activent dans une optique internationale. Les associations ont été créées à l’étranger pour dans le but de créer le cadre d’unification des forces de façon à mettre en avant les intérêts primordiaux de paix et de prospérité pour le pays d’origine, avec toutes ses composantes culturelles et identitaires (Fédération Internationale de la Diaspora Algérienne (FIDA) créé en 2015 et l’Association internationale de la diaspora Algérienne (AIDA).

Il existe diverses formes de liens entre les associations de la diaspora et le pays d’origine. Nous avons cité des liens d’affaires, mais d’autres renforcent davantage les échanges et les transferts tels que, la connaissance et savoir-faire, la culture, les biens et services, technologies, etc. Toutefois, leurs missions et objectifs sont divers et variés, ce qui nous amène à les répartir dans les typologies suivantes : Associations orientées vers les liens sociaux  ; associations orientées vers la fédération des compétences pointues  ; associations orientées vers l’accompagnement et le conseil technique  ; associations orientées vers la conduite des affaires. Le point commun entre toutes ces associations réside dans l’intérêt de rapprocher la communauté algérienne établie à l’étranger et le pays d’origine. Ceci nous conduit à considérer, en référence à la définition de l’OIM 2013, que ces associations s’organisent en [réseaux diasporiques].

Il est important de rappeler que les travaux ayant trait aux associations et aux réseaux de la diaspora algérienne dans le monde sont rares, à notre connaissance. Il est, de ce fait, complexe de nous pencher sur une multitude de sources pour approfondir ce point en question. Néanmoins, nous pourrions citer l’étude menée par Anima Investment Network (2010) intitulée «  Diasporas : passerelles pour l’investissement, l’entrepreneuriat et l’innovation en Méditerranée » qui a permis de recenser les réseaux de talents de la diaspora en Méditerranée mobilisée pour le développement économique du pays de départ, à travers des actions d’accompagnements, de transfert d’expertise et de l’investissement. L’étude fait apparaître 470 réseaux8 répartis dans les pays de l’OCDE. Les États-Unis représentent la part la plus importante avec 155 réseaux, suivie de la France et le Canada avec respectivement 47 et 45 et le royaume uni (32), Allemagne (29), Belgique et Australie 11 chacune et 6 pour l’Irlande, 4 pour le Brésil et 4 dans Union des pays arabes. Le Maroc est le pays qui dispose le plus grand nombre de diasporas avec 72 dont 48 très actives, la Libye 66 dont 35 très actives et l’Algérie en troisième position avec 51 réseaux dont 40 très actives. La Tunisie est cependant en 9e position sur 10 pays de la Méditerranée du Sud, avec seulement 10 réseaux. Cependant, l’étude a concerné trois types de réseaux, les réseaux scientifiques et techniques, les réseaux de la société civile et enfin, les réseaux d’affaires qui nous intéressent plus particulièrement dans le cadre de cette recherche, présentés dans la figure ci-après :

Figure 4 : Répartition des réseaux par catégorie d’appartenance

Figure 4 : Répartition des réseaux par catégorie d’appartenance

Source: Anima- Med-Diaspora in (ANIMA 2010, 35)

L’étude montre que les réseaux d’affaires représentent l’essentiel de l’ensemble avec 50 % soit 236 réseaux, suivi de la société civile avec 173 réseaux et enfin, la catégorie scientifique et technique avec seulement 63 réseaux.

L’étude se résume à l’identification des acteurs par typologies, mais n’offre pas plus de détails sur les caractéristiques des différents réseaux et n’aborde pas les effets et les impacts des actions menées par ces diasporas sur le développement économique du pays d’origine. Toutefois, c’est un travail qui a permis de donner un aperçu sur les réseaux de la diaspora méditerranéenne, en général, et algérienne, en particulier, en activité dans le pays d’origine à des fins de soutien et d’accompagnement et développement de l’investissement dans les pays du Sud.

Conclusion

Les caractéristiques développées tout le long de cet article dénotent et convergent vers l’existence d’une réelle attache et motivation de la diaspora à seller les liens entre elle et le pays des ancêtres. Le concept a été observé à partir d’un angle de la littérature (Dufoix, 2004) faisant apologie de l’évolution conceptuelle de la notion. Ce choix a été délibérément entrepris, mais tout en nous basant sur la réalité algérienne au prisme du contexte actuel et global, comme susmentionné.

Les résultats de cette recherche mettent en exergue la mobilisation de la diaspora, organisée en réseaux divers et variés, pour le développement de l’Algérie. Nous considérons intéressant de revenir sur cette citation de Jean-Baptiste Meyer, qui illustre parfaitement le cas de la diaspora algérienne : «  La configuration en réseau est une caractéristique des diasporas. C’est ce lien, par-delà les frontières, qui donne à la diaspora son identité. Cette identité, par définition non territorialisée, est élaborée, entretenue, activée et reproduite par le réseau. La diaspora est ainsi le produit de son histoire, une construction collective d’acteurs associés » (Meyer 2003, p 5).

Au vu des différents éléments développés dans cet article, nous pourrions considérer que les premiers jalons de rapprochement du concept à celui de la communauté algérienne sont désormais jetés et laissent apparaître les prémisses d’une communauté diasporique. Nous espérons, néanmoins, être parvenus à démontrer l’intérêt qu’il y a à explorer ce volet. Même si le terme diaspora n’est pas encore tout à fait revisité et accepté par les différents acteurs en Algérie, il est toutefois important de creuser davantage ce dernier en prenant acte des aspects historiques et sociologiques. Il convient, cependant d’utiliser le mot «  diaspora » pour les communautés d’affaires et scientifique, mais d’éviter, à ce stade, d’englober son usage au reste des différentes catégories, en raison du manque d’information sur les dernières.

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1 Nous utiliserons tout le long de cet article la notion de diaspora pour définir et l’accommodée à celle de la communauté algérienne établie à l’

2 Nomination adoptée par le ministère des affaires étrangères algérien.

3 Armstrong dans son article Mobilized and proletarian diasporas en 1976, définit la diaspora pour désigner le processus migratoire des juifs dans le

4 Les pratiques dans ce sens renvoient aux coutumes, religion, appartenance ethnique, etc.

5 Conférence de Stéphane Dufoix au colloque « Génération Diaspora », Maison de l’histoire de l’immigration, Paris, 29 mars 2016.

6 Compte tenu de la proximité entre les deux critères, nous avons, délibérément, voulu souhaité les développés dans un même et unique.

7 Les mesures annoncées par le premier ministre algérien adoptées en 2018 en faveur de la diaspora lui permettant de bénéficier des droits d’accès aux

8 Étude menée entre janvier et septembre 2010. Le nombre concerne la période durant laquelle l’enquête a été réalisée.

1 Nous utiliserons tout le long de cet article la notion de diaspora pour définir et l’accommodée à celle de la communauté algérienne établie à l’étranger. Ceci ne justifie pas, au premier abord, la similarité des deux concepts.

2 Nomination adoptée par le ministère des affaires étrangères algérien.

3 Armstrong dans son article Mobilized and proletarian diasporas en 1976, définit la diaspora pour désigner le processus migratoire des juifs dans le monde.

4 Les pratiques dans ce sens renvoient aux coutumes, religion, appartenance ethnique, etc.

5 Conférence de Stéphane Dufoix au colloque « Génération Diaspora », Maison de l’histoire de l’immigration, Paris, 29 mars 2016.

6 Compte tenu de la proximité entre les deux critères, nous avons, délibérément, voulu souhaité les développés dans un même et unique.

7 Les mesures annoncées par le premier ministre algérien adoptées en 2018 en faveur de la diaspora lui permettant de bénéficier des droits d’accès aux programmes nationaux de logement de type (LPP) et des dispositifs d’aides à la création d’entreprise (ANSEJ, CNAC, etc.).

8 Étude menée entre janvier et septembre 2010. Le nombre concerne la période durant laquelle l’enquête a été réalisée.

Figure  : réseaux et organisation des diasporas

Figure  : réseaux et organisation des diasporas

Source : (Raynaud 2011, 54)

Figure 3 

Figure 3 

Source : Produit par le Figaro.fr sur la base des données de l’Insee

Figure 4 : Répartition des réseaux par catégorie d’appartenance

Figure 4 : Répartition des réseaux par catégorie d’appartenance

Source: Anima- Med-Diaspora in (ANIMA 2010, 35)

Aziz NAFA

Maître de recherches au CREAD. Chercheur collaborateur à l’INRPME à UQTR (Québec). Chercheur associé au LPED, Aix-Marseille

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